Jordi Llobregat, Le Huitième Livre de Vésale (El Secreto de Vesalio),
traduit de l’espagnol par Vanessa Capieu, éd. du Cherche-Midi, avril 2016, 622
pages.
Un tueur en série hante
Barcelone. Nous sommes en 1888, quelques jours avant l’inauguration de
l’Exposition Universelle dans la grande ville catalane. Le clou de l’Exposition
– l’électricité – doit faire date. Daniel Amat, un jeune professeur d’Oxford,
est de retour sur sa terre natale. Son père est mort, vraisemblablement
assassiné. Il suivait la trace du tueur de prostituées.
Il faudrait trouver un
moyen terme entre le produit éditorial à la Dan Brown et le roman policier
historique érudit (et jubilatoire) à la Umberto Eco. Avec Le Huitième Livre de Vésale, il semble que nous soyons dans ce
moyen terme, moyen plus plus. Jordi Llobregat conduit une intrigue implacable
qui mêle le tournant de la modernité de la fin du XIXe siècle aux inlassables
interrogations et recherches sur la vie, la mort, le refus de la mort et l’élan
prométhéen de l’homme de science. Les enquêteurs sont au nombre de trois :
Daniel Amat, qui découvre un père bien différent que celui qu’il avait
fui ; Bernat Feixa, un journaliste en mauvaise situation, compagnon d’une
prostituée ; et Pau Gilbert, étudiant en médecine mais déjà médecin dans
l’âme et en pratique. Un carnet secret, rempli de codes mystérieux et d’allusions
à la mort d’un être aimé – et au refus de cette mort – sert de fil rouge à la
chasse à l’assassin. En arrière-plan, le manuscrit de De humani corporis fabrica, d’Andreas Vesalius. Ce médecin du XVIe
siècle, chirurgien de Charles Quint et de Philippe II, est, somme toute, la
figure centrale du roman. Celle qui retient l’attention, celle que l’on va
traquer sur les moteurs de recherche – car on n’en avait pas, ou peu, entendu
parler, n’est-ce pas ? Les gravures de sa Fabrica sont absolument fabuleuses, de véritables œuvres d’art,
dues à la main même de Vésale, et à un élève du Titien. Le corps humain y est,
pour la première fois, montré dans la crudité de la dissection, mais également
envisagé poétiquement comme une mécanique parfaite. Comme une œuvre d’art. Jordi Llobregat
imagine un huitième chapitre – un huitième livre – à la Fabrica qui n’en compte que sept. Sur cette base fictionnelle, il
construit un thriller palpitant.
La reconstitution de la
Barcelone de 1888 est très bien menée. Chacun a en mémoire l’Exposition
Universelle de 1889, celle de Paris – ne serait-ce qu’à cause de la Tour
Eiffel. Un an avant, à Barcelone, on érige le Monumento a Colón. Et l’on illumine les Ramblas grâce à
l’électricité. Dans le roman se côtoient les archaïsmes de l’Espagne
traditionnelle et la modernité de l’ingénierie. Mais les archaïsmes ont la peau
dure, la non-place des femmes dans la société, par exemple, est largement et
salutairement soulignée par Jordi Llobregat. Les médecins sont des hommes, les
épouses sont battues, les putes sont assassinées.
On ne dévoilera rien de
plus de l’intrigue de ce thriller
historique. Ajoutons toutefois que l’on y trouve également une histoire
d’amour, des allusions aux troubles de Cuba, un travestissement, un policier
corrompu… L’héroïne du roman est Barcelone, la « ville des
prodiges », en surface comme dans ses souterrains…
Le Huitième Livre de Vésale
est plus qu’un page-turner efficace. Le
substrat historique, la construction de l’intrigue, la solidité des personnages
en font un excellent roman.
Quatre gravures extraites de De humani corporis fabrica de Vésale