jeudi 5 mai 2016

Le Huitième Livre de Vésale de Jordi Llobregat



Jordi Llobregat, Le Huitième Livre de Vésale (El Secreto de Vesalio), traduit de l’espagnol par Vanessa Capieu, éd. du Cherche-Midi, avril 2016, 622 pages.

Un tueur en série hante Barcelone. Nous sommes en 1888, quelques jours avant l’inauguration de l’Exposition Universelle dans la grande ville catalane. Le clou de l’Exposition – l’électricité – doit faire date. Daniel Amat, un jeune professeur d’Oxford, est de retour sur sa terre natale. Son père est mort, vraisemblablement assassiné. Il suivait la trace du tueur de prostituées.

Il faudrait trouver un moyen terme entre le produit éditorial à la Dan Brown et le roman policier historique érudit (et jubilatoire) à la Umberto Eco. Avec Le Huitième Livre de Vésale, il semble que nous soyons dans ce moyen terme, moyen plus plus. Jordi Llobregat conduit une intrigue implacable qui mêle le tournant de la modernité de la fin du XIXe siècle aux inlassables interrogations et recherches sur la vie, la mort, le refus de la mort et l’élan prométhéen de l’homme de science. Les enquêteurs sont au nombre de trois : Daniel Amat, qui découvre un père bien différent que celui qu’il avait fui ; Bernat Feixa, un journaliste en mauvaise situation, compagnon d’une prostituée ; et Pau Gilbert, étudiant en médecine mais déjà médecin dans l’âme et en pratique. Un carnet secret, rempli de codes mystérieux et d’allusions à la mort d’un être aimé – et au refus de cette mort – sert de fil rouge à la chasse à l’assassin. En arrière-plan, le manuscrit de De humani corporis fabrica, d’Andreas Vesalius. Ce médecin du XVIe siècle, chirurgien de Charles Quint et de Philippe II, est, somme toute, la figure centrale du roman. Celle qui retient l’attention, celle que l’on va traquer sur les moteurs de recherche – car on n’en avait pas, ou peu, entendu parler, n’est-ce pas ? Les gravures de sa Fabrica sont absolument fabuleuses, de véritables œuvres d’art, dues à la main même de Vésale, et à un élève du Titien. Le corps humain y est, pour la première fois, montré dans la crudité de la dissection, mais également envisagé poétiquement comme une mécanique parfaite. Comme une œuvre d’art. Jordi Llobregat imagine un huitième chapitre – un huitième livre – à la Fabrica qui n’en compte que sept. Sur cette base fictionnelle, il construit un thriller palpitant.

La reconstitution de la Barcelone de 1888 est très bien menée. Chacun a en mémoire l’Exposition Universelle de 1889, celle de Paris – ne serait-ce qu’à cause de la Tour Eiffel. Un an avant, à Barcelone, on érige le Monumento a Colón. Et l’on illumine les Ramblas grâce à l’électricité. Dans le roman se côtoient les archaïsmes de l’Espagne traditionnelle et la modernité de l’ingénierie. Mais les archaïsmes ont la peau dure, la non-place des femmes dans la société, par exemple, est largement et salutairement soulignée par Jordi Llobregat. Les médecins sont des hommes, les épouses sont battues, les putes sont assassinées.

On ne dévoilera rien de plus de l’intrigue de ce thriller historique. Ajoutons toutefois que l’on y trouve également une histoire d’amour, des allusions aux troubles de Cuba, un travestissement, un policier corrompu… L’héroïne du roman est Barcelone, la « ville des prodiges », en surface comme dans ses souterrains…


Le Huitième Livre de Vésale est plus qu’un page-turner efficace. Le substrat historique, la construction de l’intrigue, la solidité des personnages en font un excellent roman.




 
  

Quatre gravures extraites de De humani corporis fabrica de Vésale