Christopher Priest, Le Prestige (The prestige, 1995), traduit de
l’anglais par Michelle Charrier, éd. Denoël, 2001 et Folio SF.
Film Le Prestige, scénario de
Christopher Nolan et Jonathan Nolan, réalisé par Christopher Nolan, 2006, avec
Hugh Jackman, Christian Bale, Scarlett Johansson, Michael Caine, David Bowie.
Le problème, avec des
romans tels que Le Prestige, c’est
qu’on ne peut analyser le texte sans le dévoiler. Et dévoiler ce qui fait l’âme-même
de ce roman ingénieux, magistralement composé, et somptueusement symbolique,
c’est tout de même embêtant pour le futur lecteur… Essayons de poser quelques
bases : un jeune journaliste se rend au village de Caldlow, pour enquêter
sur une secte dont le gourou semble avoir le don d’ubiquité. Ce n’est que le
prétexte, biaisé mais signifiant, d’une histoire qui va renvoyer ce journaliste
trois générations en arrière, vers un des ses ancêtres. Ajoutons, sans que cela
porte encore à conséquence, que le journaliste en question est persuadé d’être en
communication avec son frère alors qu’il est fils unique, et que la jeune femme
qui l’accueille à Caldlow descend, elle, du pire ennemi de l’arrière-grand-père
du journaliste.
Le véritable cœur du roman
se déroule dans le Londres de la fin du XIXe et du tout début du XXe, dans le
milieu des illusionnistes. Alfred Borden et Ruppert Angier se disputent la
première place au panthéon de la magie. Borden présente un numéro qui donne
l’illusion de la téléportation de façon parfaite. Où est le trucage ?
Angier est obsédé par le numéro de son concurrent et adversaire.
Christopher Priest donne à
son lecteur les journaux intimes de Borden et Angier. Dans un journal intime,
on ne cache généralement pas grand-chose. Mais ces journaux-là sont rédigés de
telle façon – celui de Borden, tout d’abord, puis celui d’Angier – que le
lecteur sait qu’il est au centre d’un piège, d’une illusion. Qui rédige le
journal de Borden ? Lui, ou un autre ? Lui ET un autre ? Et qui
prend le relais lorsque Ruppert Angier ne peut plus tenir la plume, cloué sur
un lit de souffrance, rongé par… ?
Une des figures centrales
du roman est Nikola Tesla. Angier fait le voyage à Colorado Springs, rencontre
le physicien et lui commande une machine qui simulerait la téléportation, afin
de monter un numéro plus impressionnant encore que celui de Borden. Tesla
répondra à ses attentes, et plus que cela.
Le Prestige est
l’histoire d’une obsession : découvrir le « truc » de l’autre,
le faire sien, et l’améliorer. Mais c’est aussi l’histoire de l’abandon de sa
propre vie au profit de son art. Comment dire sans en dire plus ? Les
magiciens les plus spectaculaires œuvrent dans ce que l’on appelle « la
grande illusion ». Et l’illusion ne peut être parfaite que si la vie et
l’art se confondent. Quitte à faire de sa vie un mensonge, à abandonner une
partie de sa propre vérité et leurrer son monde y compris son épouse. Quitte à
faire disparaître le « produit » de l’illusion, à l’ensevelir,
spectacle après spectacle, dans le caveau de ses ancêtres. On ne meurt pas
qu’une fois, dans le monde de la magie. Ou plutôt on…
Nous sommes bel et bien en
Science-Fiction, ici, car il y a la machine de Tesla. Le fantastique et le
polar se moquent des machines. Mais nous sommes aussi ailleurs, dans un
registre plus symbolique, celui du double et de l’unité, de l’être et du
paraître, de la vie réelle et de la vie sur scène. Le Prestige est un roman exceptionnel, qui se dévore et qui, une
fois terminé, continue d’enchanter – et de désespérer – le lecteur.
Une telle histoire ne
pouvait qu’intéresser les cinéastes. Que ce soit Christopher Nolan qui s’y soit
collé n’a rien de surprenant. Son film, intitulé lui aussi Le Prestige, s’éloigne quelque peu du roman de Christopher Priest.
Il le simplifie – il n’est plus question du jeune journaliste, par exemple,
mais le schéma du retour en arrière est conservé –, le transforme en ajoutant du
drame à la vie amoureuse et familiale des deux magiciens, et le complexifie par
la mise en scène d’un crime. Mais les grandes lignes sont préservées, et les
scènes se déroulant à Colorado Springs sont superbes. David Bowie campe un
Nikola Tesla impeccable, impassible. La machine qu’il invente pour Angier,
lorsqu’elle est refermée, ressemble à un immense métronome. L’image est
saisissante. Comme sont saisissants le plan d’ouverture – une accumulation de
chapeaux haut-de-forme – et le plan final – un alignements de caissons remplis
d’eau, dans lesquels flottent les…
C'est dans le film que l'on apprend la signification du titre. Un numéro de magie se décompose en trois parties : la promesse, le tour, et... le prestige. Trois actes : exposition, déroulé et surprise. Et c'est dans le roman que l'on prend véritablement conscience que le prestige peut se mettre au pluriel. Les prestiges.
C'est dans le film que l'on apprend la signification du titre. Un numéro de magie se décompose en trois parties : la promesse, le tour, et... le prestige. Trois actes : exposition, déroulé et surprise. Et c'est dans le roman que l'on prend véritablement conscience que le prestige peut se mettre au pluriel. Les prestiges.
On ne sait que
conseiller : regarder le film, puis lire le roman, ou faire l’inverse.
L’un et l’autre se répondent. J’ai lu trois fois le roman, visionné au moins
dix fois le film. Ma préférence va au…
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