Fabrice Bourland, Hollywood monsters,
éd. 10/18 (inédit), collections Grands Détectives, 15 janvier 2015, 336 pages.
Dans Hollywood monsters, nous retrouvons les deux détectives de
l’étrange inventés par Fabrice Bourland. Et dans l’étrange, ce nouvel opus nous
y plonge, ô combien ! Andrew
Singleton et James Trelawney se trouvent en Amérique, à Los Angeles plus
précisément, à la fin de l’année 1938. La période a son importance : la
deuxième guerre mondiale se prépare du côté de l’Europe, tandis
qu’outre-Atlantique le cinéma est à son apogée fantastique. Le roman se déroule
pendant que Rowland V. Lee dirige Basil Rathborne, Bela Lugosi et Boris Karloff
dans Le Fils de Frankenstein. Fabrice Bourland explique, sur son blog, que son idée première était de placer
l’intrigue des nouvelles aventures de Singleton et Trelawney durant le tournage
de ce film. Mais il a découvert, à son grand dam, que cela avait déjà été
écrit. Pas forcément comme il l’aurait écrit, lui, mais… le mal était fait.
Fort de la documentation
accumulée, et désireux de situer une des aventures des détectives de l’étrange
à Los Angeles, Bourland déplace légèrement son décor, et radicalement – encore
que – son intrigue. Un meurtre est commis près de Malibu Lake : une jeune
femme est égorgée, et les soupçons se portent vers un loup-garou. Nous ne
sommes plus dans le laboratoire de Victor Frankenstein, nous sommes dans
l’univers des Éperons de Tod Robbins,
ce roman qui a servi de base à Tod Browning pour son film Freaks. La jeune femme assassinée a une particularité anatomique
désignée sous le terme de « polymastie », c’est-à-dire qu’elle avait
trois seins, à l’instar d’Ann Boleyn, paraît-il (1). Son supposé assassin n’est
pas un loup-garou, bien sûr, mais un jeune homme atteint d’hypertrichose, un
dérèglement hormonal qui provoque un excès du développement des poils (2). La
jeune femme aux trois seins travaillait dans un cabaret où des siamoises
chantent en duo, où des serveuses de bar ont des mains en forme de pince de
homard, et où, sous la jupe qui moule les fesses de la tenancière des lieux, on
devine le balancement d’une petite queue. Freaks,
oui, la monstrueuse parade…
Mais les phénomènes de
foire ne sont que le versant spectaculaire de l’intrigue. Comme souvent, dans
les aventures des détectives de Fabrice Bourland, l’étrange est à dénicher
ailleurs. Dans les errements frappadingues des coupables. Nous n’en dirons guère
plus ici, roman policier oblige. Ajoutons simplement que les faits se déroulant
en décembre 1938, quelques illuminés envisagent la fin de l’espèce humaine et
se réfèrent au mouvement théosophique d’Helena Blavatsky (3). Les monstres ne
sont pas ceux que l’on croit ou voit. Il y a les victimes, et il y a les
bourreaux. Bourreaux persuadés d’œuvrer pour le bien, évidemment.
Encore une fois, Fabrice
Bourland emporte son lecteur dans une histoire solide et bizarre. On suit les
tribulations de Singleton et Trelawney, on découvre quelques milieux
californiens particuliers – celui des freaks, celui de la presse, et celui du
cinéma, par la bande. Et l’on découvre que l’un des ressorts de l’enquête
policière repose sur l’effet Koulechov. C’est bien le spectateur qui projette
son ressenti sur l’expression de l’acteur, en fonction du décor : ainsi l'un des détectives comprend-il que le loup-garou qu'il a entrevu au début du
roman n’était pas effrayant, mais effrayé…
Si vous ne connaissez pas
encore Singleton et Trelawney, courez les découvrir ! Et si vous êtes déjà
de leurs amis, venez les retrouver à Los Angeles…
*
Notes
1 – Je pensais, pour ma
part, qu’Ann Boleyn était atteinte de polydactylie, c’est-à-dire qu’elle avait
six doigts à chaque main. Une de mes camarades de classe, à l’école primaire,
avait deux petits doigts en plus, comme des rameaux poussant sur les pouces
principaux. C’est sans doute à cette époque-là, en même temps que je découvrais
la chose, que j’ai appris le mot et la référence historique.
2 – On se souvient d’un
épisode des Experts-Vegas dans lequel
un frère est une sœur sont atteints de cette calamité (CSI Vegas, Saison 6, épisode 11, « Werewolves »).
3 – Helena Blavatsky
(1831-1891), fondatrice de la Société Théosophique. La théosophie est une
doctrine ésotérique farfelue, qui mêle la philosophie, le corps astral et la
médiumnité, enfin, ce genre de trucs… Dans son roman Maudits, Joyce Carol Oates fait de son personnage Puss une lectrice
assidue des œuvres de Blavatsky.