Stephen King, Mr
Mercedes,
traduit de l’anglais (USA) par Océane Bies et Nadine Gassie, éd. Albin Michel,
février 2015, 480 p.
Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration
avec Virginie Neufville
L’homme à
la Merco
Le nouveau roman de Stephen
King, Mr Mercedes, est placé sous le
signe de James M. Cain. Roman policier ? Roman noir ? Ou polar, comme
on dit quand on hésite… Stephen King délaisse les rives de la terreur et du
surnaturel pour celles, donc, du polar. Mr
Mercedes est le premier volet de ce qui est annoncé comme une trilogie,
avec pour point nodal le policier.
Stephen King connaît son
métier, c’est le moins que l’on puisse dire de lui. Il n’a pas son pareil pour
« monter » une histoire, et pas son pareil non plus pour rendre
compte d’une réalité américaine, celle des petites villes et, la plupart du
temps, des petites gens. Dans Mr Mercedes,
il fait montre de son talent de faiseur d’histoire, en mettant aux prises un
flic et un tueur. Le tueur est barge, le flic « fini » au début du
roman et totalement requinqué ensuite. L’inspecteur Bill Hodges s’ennuie dans
sa retraite, calé devant son écran de télévision à regarder des
programmes-poubelles. Il est parti sur un échec, il n’a pas résolu sa dernière
enquête, celle du tueur à la Mercedes. Et voilà que le tueur entre en contact
avec lui, revient pour le défier. Une trame simple, basique, que Stephen King
va travailler en déviant quelque peu de sa manière habituelle.
Qu’est-ce qu’on aime, dans
les romans de King ? Dans ses très bons romans ? Car ils ne sont pas
tous très bons… On aime son talent de défricheur-déchiffreur de symboles, sa
façon toute particulière de renverser un motif anodin et de nous montrer – de
nous prouver – qu’il peut être porteur d’angoisse. Le clown de Ça est un des plus beaux exemples. Ou la
voiture Christine. L’enfant, l’adolescent, l’amoureux, aux prises avec un inconcevable
qui devient symbolique. Le roman policier, ou le roman noir, parviennent
parfois à atteindre cette dimension symbolique, plus rarement que dans le genre
terrifiant ou fantastique, tout de même. Dans Mr Mercedes, le tueur n’est pas intéressant. C’est un
psycho-machin-truc assez convenu, qui ne surprend guère. Et quand le tueur
n’est pas intéressant, ou est tout juste intéressant, c’est tout un pan de
l’histoire qui fait défaut… Reste le flic, le vieil inspecteur qui reprend du
service. Lui, et sa petites bande, sont réussis.
La partie inaugurale du
roman, qui ne compte que onze pages, est saisissante. Tout un petit peuple est
mis en scène, dans une situation parfaitement précisée : psychologie,
sociologie, difficultés économiques contemporaines… et voilà que l’Homme à la
Merco vient tout balayer. Le problème, peut-être – disons que c’est mon problème avec ce roman – c’est que
l’on n’a pas forcément envie d’entrer dans la tête du petit méchant de
l’histoire. On aime Hannibal Lecter parce qu’il est ambivalent et séduisant, et
qu’il nous interroge sur quelques tabous absolus. On est fasciné par Randall
Flagg parce que l’idée de déclencher le chaos n’est pas à prendre à la légère. On
est ensorcelé par Fantômas, parce que la conquête du monde est une chose sérieuse.
On est terrifié par le clown de Ça
parce qu’il découle du Croquemitaine. Le méchant doit créer le mythe, ou y
renvoyer, sinon il n’est qu’un personnage de méchant, et ces petits personnages-là,
on les retrouve un peu partout, dans les bons et les mauvais romans. On attend
de Stephen King qu’il nous bouleverse. On sait qu’il en est capable. On sait
que la lutte du Bien et du Mal, il l’a déjà menée et fait mener par des figures
inoubliables. Pas cette fois-ci.
Lire l’article de Virginie Neufville à propos de Mr Mercedes sur son blog Fragments de lecture.