mardi 24 février 2015

Regards croisés (13) – Mr Mercedes de Stephen King


Stephen King, Mr Mercedes, traduit de l’anglais (USA) par Océane Bies et Nadine Gassie, éd. Albin Michel, février 2015, 480 p.

Regards croisés

Un livre, deux lectures – en collaboration avec Virginie Neufville
  

L’homme à la Merco

Le nouveau roman de Stephen King, Mr Mercedes, est placé sous le signe de James M. Cain. Roman policier ? Roman noir ? Ou polar, comme on dit quand on hésite… Stephen King délaisse les rives de la terreur et du surnaturel pour celles, donc, du polar. Mr Mercedes est le premier volet de ce qui est annoncé comme une trilogie, avec pour point nodal le policier.

Stephen King connaît son métier, c’est le moins que l’on puisse dire de lui. Il n’a pas son pareil pour « monter » une histoire, et pas son pareil non plus pour rendre compte d’une réalité américaine, celle des petites villes et, la plupart du temps, des petites gens. Dans Mr Mercedes, il fait montre de son talent de faiseur d’histoire, en mettant aux prises un flic et un tueur. Le tueur est barge, le flic « fini » au début du roman et totalement requinqué ensuite. L’inspecteur Bill Hodges s’ennuie dans sa retraite, calé devant son écran de télévision à regarder des programmes-poubelles. Il est parti sur un échec, il n’a pas résolu sa dernière enquête, celle du tueur à la Mercedes. Et voilà que le tueur entre en contact avec lui, revient pour le défier. Une trame simple, basique, que Stephen King va travailler en déviant quelque peu de sa manière habituelle.

Qu’est-ce qu’on aime, dans les romans de King ? Dans ses très bons romans ? Car ils ne sont pas tous très bons… On aime son talent de défricheur-déchiffreur de symboles, sa façon toute particulière de renverser un motif anodin et de nous montrer – de nous prouver – qu’il peut être porteur d’angoisse. Le clown de Ça est un des plus beaux exemples. Ou la voiture Christine. L’enfant, l’adolescent, l’amoureux, aux prises avec un inconcevable qui devient symbolique. Le roman policier, ou le roman noir, parviennent parfois à atteindre cette dimension symbolique, plus rarement que dans le genre terrifiant ou fantastique, tout de même. Dans Mr Mercedes, le tueur n’est pas intéressant. C’est un psycho-machin-truc assez convenu, qui ne surprend guère. Et quand le tueur n’est pas intéressant, ou est tout juste intéressant, c’est tout un pan de l’histoire qui fait défaut… Reste le flic, le vieil inspecteur qui reprend du service. Lui, et sa petites bande, sont réussis.

La partie inaugurale du roman, qui ne compte que onze pages, est saisissante. Tout un petit peuple est mis en scène, dans une situation parfaitement précisée : psychologie, sociologie, difficultés économiques contemporaines… et voilà que l’Homme à la Merco vient tout balayer. Le problème, peut-être – disons que c’est mon problème avec ce roman – c’est que l’on n’a pas forcément envie d’entrer dans la tête du petit méchant de l’histoire. On aime Hannibal Lecter parce qu’il est ambivalent et séduisant, et qu’il nous interroge sur quelques tabous absolus. On est fasciné par Randall Flagg parce que l’idée de déclencher le chaos n’est pas à prendre à la légère. On est ensorcelé par Fantômas, parce que la conquête du monde est une chose sérieuse. On est terrifié par le clown de Ça parce qu’il découle du Croquemitaine. Le méchant doit créer le mythe, ou y renvoyer, sinon il n’est qu’un personnage de méchant, et ces petits personnages-là, on les retrouve un peu partout, dans les bons et les mauvais romans. On attend de Stephen King qu’il nous bouleverse. On sait qu’il en est capable. On sait que la lutte du Bien et du Mal, il l’a déjà menée et fait mener par des figures inoubliables. Pas cette fois-ci.

Lire l’article de Virginie Neufville à propos de Mr Mercedes sur son blog Fragments de lecture.