samedi 14 février 2015

Les Éperons de Tod Robbins


Tod Robbins, Les Éperons, traduit de l’anglais (USA) par Anne-Sylvie Homassel, préface de Xavier Legrand-Ferronnière, éditions du Sonneur, octobre 2011, 62 p. (première publication, USA, 1923)

Jacques Courbé aime Jeanne-Marie, qui est amoureuse de Simon Lafleur. Jacques Courbé hérite, et Jeanne-Marie accepte de l’épouser, pensant qu’il ne fera pas de vieux os et qu’elle sera bientôt riche, qu’elle pourra vivre avec l’homme qu’elle aime vraiment. Situation classique, mille fois lue ou vue. Mais…

Mais ajoutons quelques précisions. Dès le premier paragraphe de ce court texte, on apprend à propos de Jacques Courbé que « soixante et onze centimètres seulement séparaient la plante de ses pieds minuscules du sommet de son crâne ». Jeanne-Marie est une « grande femme blonde à la stature d’amazone, elle avait des yeux rond d’un bleu tendre ». Simon Lafleur, quant à lui, est un « jeune colosse basané au regard noir et insolent ». Ajoutons encore que l’histoire naît sous le chapiteau du cirque Copo, et l’on aura compris que nous sommes dans l’univers de Freaks. Le texte de Tod Robbins a d’ailleurs inspiré le film de Tod Browning.

Le nain est un chevalier à la petite figure, armé d’une petite épée, juché sur un chien hargneux. Jeanne-Marie et Simon Lafleur sont des écuyers, des acrobates en habit de lumière. L’écuyère épouse le nain, qu’elle appelle son « singe de poche » et qu’elle juche sur son épaule. Sur quarante-cinq pages, et en trois mouvements clairement différenciés – la demande en mariage, le repas de noces, les retrouvailles de Jeanne-Marie et Simon un an après la cérémonie – Tod Robbins cisèle un petit bijou de perversion et d’irrespect, brosse une galerie de portraits monstrueux, plonge au cœur d’un monde brutal, où les plus cruels ne sont pas ceux que l’on croit. Très malicieusement, Tod Robbins donne à ses personnages des noms français, et les patronymes masculins – Courbé et Lafleur – sont à mettre en parallèle avec la jument Sappho que chevauche l’écuyère Jeanne-Marie.


Les éditions du Sonneur proposent ici une publication soignée, dans un petit format élégant, avec une préface qui retrace le parcours de l’auteur.