Regards croisés
Un livre, deux lectures. En collaboration avec Virginie Neufville
Robert Galbraith, L’Appel du coucou (The cuckoo’s calling), traduit de
l’anglais par François Rosso, Grasset, novembre 2013.
La top model Lula Landry
s’est suicidée en se jetant du haut de son balcon, une nuit d’hiver. C’est du
moins ce que la police conclut, après une enquête sommaire. Le frère de Lula,
John Bristow, n’est pas convaincu par ces conclusions. Il fait appel aux
services du détective Cormoran Strike, qui a été le camarade de classe de son
frère Charlie. Charlie est mort, lui aussi, enfant, d’un accident de vélo. John
Bristow est le seul survivant de la fratrie. Lula s’est-elle vraiment
suicidée ? Voilà le point de départ – et d’arrivée – d’une intrigue
policière finement menée.
Pour faire un bon roman
policier, il faut un bon personnage de détective. Cormoran Strike est en tous
points abouti. Il a appartenu à la police des armées, a perdu une jambe en
Afghanistan, et vient de se séparer de sa compagne, une jeune femme riche et
superbe. Il est jeune encore, son père est une star du rock – mais il ne l’a
jamais fréquenté – et sa mère une ex-groupie. On devine chez Strike une
sensibilité profonde, réelle. Il est un peu perdu, mais rédige soigneusement
ses notes pour l’enquête. Il est mal foutu, mal sapé, mais sait se tenir
parfaitement en société et endosser son plus beau costume lorsque c’est
nécessaire.
Pour faire un bon
personnage de détective, il faut lui adjoindre une secrétaire fut-fut. La
secrétaire de Strike s’appelle Robin. Elle est fiancée et amoureuse, assure des
missions d’intérim en attendant de décrocher une vraie place à la hauteur de
ses ambitions. Elle ne devrait faire que passer dans l’histoire, mais non, elle
est là et bien là, discrète et indispensable, capable d’initiatives et de
déductions. Elle n’a pas envie que sa mission d’intérim auprès de Strike se
termine.
Pour mener une bonne
intrigue policière, il faut que le crime originel permette à plusieurs strates
de la société de se rencontrer. Dans L’Appel
du coucou, on passe des backstages des défilés de mode aux foyers de
réinsertion sociale, des cabinets feutrés d’avocats aux paparazzis, des
fast-foods aux restaurants haut-de-gamme. Le détective Strike promène sa
silhouette pataude dans tous les milieux, avec une aisance égale. L’enquête est
sinueuse à souhait, le dénouement inattendu et imparable.
L’auteur ? Ah oui,
l’auteur… Sous le pseudo Robert Galbraith se cache – se cachait – J.K. Rowling.
Est-ce que savoir cela change notre lecture ? Eh bien, disons que oui,
mais pas pour les raisons attendues. Après la semi-déception de son précédent
roman Une place à prendre, L’Appel du coucou nous offre une vraie
bonne surprise, et un peu plus que cela. On est, ici, presque à égale distance
entre Agatha Christie et Ruth Rendell. Rigueur de l’élaboration de l’intrigue
et vraisemblance de la psychologie : de la figure maternelle incarnée par
Mrs Bristow, n’aimant pas d’un même amour les trois enfants qu’elle a adoptés,
à la fascination/jalousie que peut éprouver une jeune fille noire déshéritée
pour un mannequin, en passant par les secrétaires d’avocats, les maquilleuses,
les chauffeurs et les épouses de producteurs de cinéma, tout est convainquant. Mais
en refermant le roman, c’est bien à Robin et à Strike que l’on continue de
penser. Ces deux-là, il nous tarde de les retrouver pour une nouvelle enquête.
On aura oublié la courte vie de Lula la top model et les raisons de sa mort.
Mais on grillera de savoir comment évoluent les relations entre le détective et
sa secrétaire !
*
Lire l'article de Virginie Neufville à propos de ce roman
sur le blog Fragments de lecture