L'Étincelle surréaliste, l'image surréaliste dans les lettres et manuscrits, éditions Avant-propos, 21 septembre 2012, 144 pages.
De juillet à octobre 2012, le Musée des lettres et manuscrits de Bruxelles a proposé une exposition intitulée « L’étincelle surréaliste ». Les éditions Avant-Propos nous en livrent une magnifique déclinaison, abondamment illustrée et commentée. Le surréalisme et la Belgique, bien sûr. Mais aussi le surréalisme et la France, et la Catalogne. Par-delà les illustrations attendues ou inattendues d’un mouvement qui a révolutionné l’histoire littéraire et artistique du début du XXe – et qui continue de le faire – nous pénétrons, grâce à cette publication, dans quelque chose qui relève de l’intime. Correspondance, manuscrits, ratures, dessins dans les marges… c’est une pensée en marche que l’on nous donne, en écriture automatique, en réflexions, en échanges.
La partie la plus émouvante – entendons par là qu’elle nous « remue » – est sans doute celle qui s’intitule « le surréalisme dans ses textes fondateurs ». Les cahiers d’écolier d’André Breton, couverts d’une écriture immédiatement déchiffrable, sage pour la révolution qu’elle propose – on s’attendait, peut-être, à une calligraphie échevelée – nous touchent infiniment. Dans le manuscrit de Poisson soluble (1924) on trouve une carte postale d’amoureux déguisés, qu’encadre un texte qui mentionne Satan. Dans les marges, des dessins d’ingénieurs. Les pages non raturées d’écriture automatique sont terrifiantes de netteté et de fluidité. Les pages du Manifeste, travaillées, exhibent ratures et soulignés. C’est Breton au travail, analysé par Pascal Fulacher et Sébastien Arfouilloux.
Une lettre de Max Ernst à Joë Bousquet : « Je n’ai pas de tes nouvelles depuis bientôt 15 jours. Il est possible que je me trompe, car le temps s’écoule goutte par goutte ». Quelques notes de René Magritte, prises horizontalement et verticalement, encadrent le petit personnage au chapeau melon et au parapluie, silhouette esquissée, sous laquelle on lit « Personnage assis ». Magritte, toujours lui, et les lettres à ce « cher monsieur Gracq ».
Camilla Pilotto nous propose un chapitre sur « le surréalisme à la (sauce) belge », groupe de Bruxelles, groupe du Hainaut, marginalité de Paul Delvaux.
Puis on arrive en Catalogne. Dalí, Miró. Dalí fait son cinéma (avec Buñuel) tandis que Miró tourbillonne. Là encore, arrêtons-nous sur les manuscrits, et les écritures, les lettres tracées. Chez Salvador, la lettre est aiguë, les d hésitent, les s sont chantournés. Il ne s’agit pas d’analyser graphologiquement, il s’agit de contempler la lettre tracée par un peintre mégalo. Les points d’exclamation et d’interrogation, presque démesurés, nous enchantent. Comme nous enchantent l’orthographe et la grammaire, mâtinées de catalanismes et d’hispanismes, ces « il i ha », ces « découbrir », ces « film experimental de vangarde ». Dalí, on le lit comme on l’entend, et on l’entend comme on l’aime – ou déteste : démesuré. Dans le genre, Joan n’est pas mal non plus : sur du papier à lettres d’hôtel (Palma de Mallorca, New-York), il envoie à Louis Broder des lettres circonstanciées sur des considérations d’épreuves à corriger ou d’épreuves à colorier, et mentionne que l’on peut le joindre chez Pierre Matisse à New-York, 57th street. Là encore, c’est tout Miró que l’on retrouve. D’une main ferme, d’une écriture noire et ronde comme celle d’un gamin – n’était le M de son nom, dans la signature, aigu, démesuré – il trace les mots qui trahissent son caractère : « Nous partons par le Liberté le 29, j’espère qu’à notre arrivée tout sera prêt, car j’ai fort envie de rentrer chez moi. L’exposition – frappé un grand coup ».
Il y a d’autres merveilles dans cet album, des illustrations choisies, parfaitement mises en page, et des textes éclairants. Nous nous sommes focalisés sur les manuscrits, car ils nous paraissent les documents les plus émouvants parmi ceux qui sont présentés. Voilà une publication dont on ne se lasse pas, sur laquelle on revient.