Haruki Murakami, Profession romancier
(Shokugyō
toshite no shosetsuka,
2015), traduit du japonais par Hélène Morita, éd. Belfond, 3 octobre 2019, 208
pages.
Tiens, Haruki
Murakami n’a pas obtenu le prix Nobel cette année. C’est une habitude, et il
s’y tient. D’ailleurs, dans la partie intitulée « A propos des prix
littéraires », qui constitue le troisième chapitre de Profession romancier, il dit ne pas se souvenir si Borges a été
lauréat ou pas de ce prix. Borges, l’éternel non-nobélisé. Bien entendu, c’est
une pose. Murakami sait très bien que l’écrivain argentin n’a pas été distingué
par l’Académie suédoise, et il feint de s’en contrefoutre. Lui, le prix qu’il a
raté en premier lieu, c’est le prix Akutagawa, qui est décerné deux fois par an
au Japon, et qui peut être comparé à notre Goncourt. Raté deux fois en 1973. Murakami
dit qu’il s’en est senti « soulagé ». Comme il a dû se sentir
soulagé, cette année encore, par la décision des Nobel. A indifférents,
indifférent et demi…
Avant de nous
pencher sur le titre de ce recueil d’essais, regardons la couverture : une
balle de baseball, blanche cousue de rouge, sur un fond rouge. L’inverse exact
du drapeau japonais. On connaît la passion de Murakami pour le baseball, rien
d’étonnant à en découvrir le symbole pour illustrer une de ses couvertures.
Mais l’allusion au drapeau japonais pour une réflexion sur le métier de
romancier doit-elle laisser à penser qu’il y a une façon japonaise d’être
écrivain ? Une manière singulièrement nippone ? A bien y regarder,
pas du tout. Certes, Murakami est un auteur qui voyage, qui écrit dans
différents pays, particulièrement en Europe. Sa spécificité japonaise,
c’est-à-dire la langue dans laquelle il s’exprime, il l’a travaillée au fil des
années. Il voulait une langue lisse, non recherchée. On le lui a d’ailleurs
reproché. Mais Murakami est un romancier – il insiste sur sa préférence :
le roman – comme les autres.
Romancier, une
profession ? Oui, bien sûr. Quiconque pense qu’il suffit d’attendre
l’inspiration pour que la main courre toute seule sur la page ou sur le clavier
est un menteur, ou un ignorant. Je connais quelques écrivains, et leur habitus d’écriture :
les 35 heures par semaine et la muse penchée sur leur épaule les font bien rigoler.
On sait que Stephen King – il l’a dit un peu partout, et sur tous les tons –
écrit chaque jour de l’année, sauf le jour de Noël. Murakami, lui aussi, est un
rédacteur quotidien. L’entrée 6 de Profession
romancier est à ce propos éclairante. On y apprend comment il travaille – dix
pages par jour, mais pour nous ça ne veut pas dire grand chose, un feuillet
japonais comporte 400 signes – et comment il laisse reposer le texte avant de
le lisser une première fois, puis de le laisser reposer à nouveau pour le lisser
encore. Ensuite, son épouse lit le manuscrit, et fait ses remarques. Et là,
l’auteur râle, s’emporte, tient compte, ou pas, des remarques. Fait souvent le
contraire de ce qui lui a été suggéré. Ce passage-là est étonnant de vérité. Les
créateurs sont à la fois magnifiques et invivables. Avec ironie, Murakami
confirme et confesse la règle.
On pourrait penser
que la mise à plat du processus créatif enlève du charme à la lecture des
œuvres. On s’aperçoit ici qu’il n’en est rien. Profession romancier – dont le titre français a des allures de Profession reporter, mais ne rend compte
qu’à moitié, ou au tiers, du titre original qui évoque plutôt la vocation – est
une espèce de visite d’atelier d’un romancier. Sauf que l’atelier, en l’occurrence,
est virtuel, cérébral, organique. On y apprend, par exemple, comment Murakami
reconditionne les souvenirs, sans prendre de note, jamais, sur un petit carnet.
Tous ces détails intimes, avoués, révélés, donnent un sel supplémentaire à la
lecture de l’œuvre.
Profession romancier
est à la fois une balade dans l’intimité d’un processus créatif, et une déclaration
d’intention. A recommander à tous les fans de l’écrivain japonais, et à tous
ceux que la fabrique de l’écriture passionne.