Georges-Olivier Châteaureynaud, Ego, Ariel et moi, suivi de Oh, Bigdata !, éd.
Le Verger Editeur, septembre 2017, 48 pages.
Les deux nouvelles
de ce recueil nous transportent dans un univers familier et détourné, anticipé.
Selon les lois du genre, puisqu’il y a « machine », on est en
science-fiction. Dans Ego, Ariel et moi,
et dans Oh, Bigdata !, il y a
effectivement science, et effectivement fiction. Mais il y a surtout plongée
dans la psyché intemporelle. Tout l’art de Châteaureynaud est à l’œuvre dans
ces deux textes impeccables, où l’émotion et l’empathie le disputent à l’observation
minutieuse de nos solitudes.
Deux textes qui se
répondent et presque s’entrecroisent. Pourtant, les destinées des deux
personnages principaux – deux hommes, dans la force de l’âge – sont soumises à
deux volontés différentes. Dans Ego,
Ariel et moi, c’est bien le narrateur qui décide de la flèche que prendra
désormais sa vie. Il se commande un robot, puisque la loi le lui permet. Mais
au lieu de choisir un modèle sur catalogue, il choisit d’en faire fabriquer un
qui lui ressemble trait pour trait, et qu’il nomme dans un premier temps
« toi ». « Je suis toi » lui dit le robot. Lorsque le
logiciel de l’androïde est mis à jour, la machine a dans le regard quelque
chose de désarçonnant, que personne ne peut déceler, à part son propriétaire…
Dans Oh, Bigdata ! un logiciel
plus ample, gérant la destinée de chacun, vient annoncer par la voix d’un
« rectificateur » à un vendeur de chaussures que la vie qu’il vit
n’est pas la bonne, qu’il doit abandonner son commerce, sa femme et ses
employés, et même ses vêtements, et s’installer en banlieue nord, dans une HLM
où l’attendent une femme et sa fille adolescente. Mais l’attendent-elles
vraiment ? Et l’ex-chausseur deviendra-t-il le peintre qu’il a toujours
rêvé d’être ?
Les programmes
informatiques, dans ces deux textes, apparaissent comme des chances pour les
deux hommes. Des chances, des sursauts, une façon de faire basculer la vie,
dans le bon sens croient-ils. La résignation dont ces deux hommes font preuve est
le signe de l’absurdité de l’existence, motif courant dans toute l’œuvre de
Georges-Olivier Châteaureynaud. On n’a prise sur rien, au fond. On se débat
petitement, avec ses petits moyens, et l’on en tire sinon satisfaction, tout au
moins apaisement. On suit des rails dont le tracé est obscur, on s’enfonce dans
une logique impénétrable, comme on le dirait d’une forêt touffue. Le sens de la
vie est inconnaissable, mais cela n’empêche pas quelques petits espoirs,
quelques enjambées minimes. On se bat avec les armes fragiles des cœurs
tendres.
En clin d’œil à ses
lecteurs fidèles et attentifs, Georges-Olivier Châteaureynaud sème de petits
indices qui dessinent un autoportrait : les initiales G et O du prénom,
que l’on retrouve dans Ego, mais qui parsèment l’œuvre entière ;
l’allusion, en détour de phrase, à la rousseur. Cet autoportrait est autant
physique que psychique. Ego, Ariel et moi,
et Oh, Bigdata ! sont des textes qui interrogent l’identité et la
personnalité à l’heure de la domination du code en 0 et 1. Malicieusement,
Châteaureynaud s’insinue dans un code en passe de nous diriger, de nous
administrer, et replace l’existence humaine sur une trajectoire personnelle où
les objets du quotidien – une voiture virant à l’épave, ou un vieux poêle Godin
– acquièrent une terrible force évocatrice.
C’est bien en
partant d’une expérience toute personnelle, toute intime, que Châteaureynaud
nous donne à voir l’ampleur de nos propres vies. Nous sommes, dans ces
textes-là, le cœur du sujet. Sujet servi par une langue magnifique. Un style. Une
élégance.