Paul-Henry Bizon, La Louve, éd.
Gallimard, 31 août 2017, 246 pages.
Le 20 juillet
dernier, le gouvernement ouvrait les Etats Généraux de l’Alimentation, dont
l’objectif est double : permettre aux agriculteurs de vivre de leur
travail grâce à la mise en place de prix justes, et répondre aux attentes des
consommateurs, dont le prix juste n’est pas forcément la priorité. On imagine
aisément que ces deux impératifs, pour catégoriques qu’ils puissent paraître,
ne sont pas forcément compatibles. Il en va de même pour le prix des fringues, le
coût des voyages en avion, et tout le toutim. Cet état de fait a pour
nom : mondialisation. Comment passer au-dessus des centrales d’achat ?
Les producteurs de lait, soumis à des clauses terrifiantes, en savent quelque
chose.
En parallèle, des
émissions télévisées de gastronomie – qu’elles mettent en vedette des chefs
déjà reconnus, ou des inconnus œuvrant pour leurs famille ou cercles amicaux –
mettent en lumière cathodique un penchant certain pour l’authentique, pour
reprendre l’expression du Jean de Florette de Pagnol : « Je suis venu
ici pour cultiver l’authentique. » Expression qu’Ugolin ne comprend pas,
et qu’il condense en une réplique fameuse au Papet : « Il veut faire
pousser des lotantiques, des lotantiques partout ! » Lors de ces
émissions très suivies, le téléspectateur est scotché par la taille et la
qualité des légumes qui vont être cuisinés par les candidats. Les cultivateurs
de ces légumes sont souvent – toujours – des producteurs indépendants, dont la
production est réservée aux restaurants étoilés.
Paul-Henry Bizon
s’intéresse à la gastronomie, et aux mutations des écosystèmes urbains et
agricoles – c’est ce que nous apprend la quatrième de couverture de son premier
roman, que les éditions Gallimard publient en cette rentrée littéraire. La Louve met en scène deux univers
diamétralement opposés, celui de l’utopie agricole et celui de la finance
perverse. Camille Vollot, soutenu inconditionnellement par son épouse, met en
place en Vendée une communauté d’agriculteurs unis par la volonté farouche de
produire du vrai, du bon, de l’écologique. Plus que cela : de retrouver
les fondements de la permaculture et de l’agroforesterie. Et d’en vivre. Deux
frères se battent puis s’unissent, tandis qu’à Paris on investit dans des
projets grandioses, des lieux polymorphes où l’art contemporain côtoie la
gastronomie de haut vol.
La Louve est un
roman qui repose sur de bonnes intentions. C’est sans doute son défaut majeur.
Les gentils sont gentils – voire très gentils, en limite de naïveté – tandis que
les méchants sont très méchants – et plus que cela, le trait est grossi au
moins cent fois, la perversion financière est doublée de préoccupations
sexuelles violentes, par exemple. Etrangement, et on en n’aura jamais
l’explication, une allitération en V court sur tout le texte (la Vendée, le
village de Montfort-sur-Sèvre, les frères Vollot, le nom de la coopérative (la
Louve), qui est aussi le surnom d’un des personnages féminins, prénommé
Victoire.
Alimentation saine
et montages financiers toxiques, voilà le raisonnement. Malgré tous ses
défauts, La Louve se lit avec un
certain intérêt. Sous la démonstration un peu lourde se faufile une question
aiguë : que mangeons-nous ? Et qui nous mange ?
*
NB : ce roman s’inscrit, à l’évidence, dans la tradition
du Menosprecio de Corte y alabanza de
aldea de Fray Antonio de Guevara (1539). Cette référence parlera à tout
hispaniste. Le mal est dans les villes, et la pureté dans les campagnes… Tout n’est
pas si simple sous nos cieux du XXIème siècle, bien éloignés du siècle d’or
espagnol, mais l’idée court toujours.