vendredi 1 septembre 2017

La Louve de Paul-Henry Bizon

Paul-Henry Bizon, La Louve, éd. Gallimard, 31 août 2017, 246 pages.


Le 20 juillet dernier, le gouvernement ouvrait les Etats Généraux de l’Alimentation, dont l’objectif est double : permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail grâce à la mise en place de prix justes, et répondre aux attentes des consommateurs, dont le prix juste n’est pas forcément la priorité. On imagine aisément que ces deux impératifs, pour catégoriques qu’ils puissent paraître, ne sont pas forcément compatibles. Il en va de même pour le prix des fringues, le coût des voyages en avion, et tout le toutim. Cet état de fait a pour nom : mondialisation. Comment passer au-dessus des centrales d’achat ? Les producteurs de lait, soumis à des clauses terrifiantes, en savent quelque chose.

En parallèle, des émissions télévisées de gastronomie – qu’elles mettent en vedette des chefs déjà reconnus, ou des inconnus œuvrant pour leurs famille ou cercles amicaux – mettent en lumière cathodique un penchant certain pour l’authentique, pour reprendre l’expression du Jean de Florette de Pagnol : « Je suis venu ici pour cultiver l’authentique. » Expression qu’Ugolin ne comprend pas, et qu’il condense en une réplique fameuse au Papet : « Il veut faire pousser des lotantiques, des lotantiques partout ! » Lors de ces émissions très suivies, le téléspectateur est scotché par la taille et la qualité des légumes qui vont être cuisinés par les candidats. Les cultivateurs de ces légumes sont souvent – toujours – des producteurs indépendants, dont la production est réservée aux restaurants étoilés.

Paul-Henry Bizon s’intéresse à la gastronomie, et aux mutations des écosystèmes urbains et agricoles – c’est ce que nous apprend la quatrième de couverture de son premier roman, que les éditions Gallimard publient en cette rentrée littéraire. La Louve met en scène deux univers diamétralement opposés, celui de l’utopie agricole et celui de la finance perverse. Camille Vollot, soutenu inconditionnellement par son épouse, met en place en Vendée une communauté d’agriculteurs unis par la volonté farouche de produire du vrai, du bon, de l’écologique. Plus que cela : de retrouver les fondements de la permaculture et de l’agroforesterie. Et d’en vivre. Deux frères se battent puis s’unissent, tandis qu’à Paris on investit dans des projets grandioses, des lieux polymorphes où l’art contemporain côtoie la gastronomie de haut vol.

La Louve est un roman qui repose sur de bonnes intentions. C’est sans doute son défaut majeur. Les gentils sont gentils – voire très gentils, en limite de naïveté – tandis que les méchants sont très méchants – et plus que cela, le trait est grossi au moins cent fois, la perversion financière est doublée de préoccupations sexuelles violentes, par exemple. Etrangement, et on en n’aura jamais l’explication, une allitération en V court sur tout le texte (la Vendée, le village de Montfort-sur-Sèvre, les frères Vollot, le nom de la coopérative (la Louve), qui est aussi le surnom d’un des personnages féminins, prénommé Victoire.

Alimentation saine et montages financiers toxiques, voilà le raisonnement. Malgré tous ses défauts, La Louve se lit avec un certain intérêt. Sous la démonstration un peu lourde se faufile une question aiguë : que mangeons-nous ? Et qui nous mange ? 

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NB : ce roman s’inscrit, à l’évidence, dans la tradition du Menosprecio de Corte y alabanza de aldea de Fray Antonio de Guevara (1539). Cette référence parlera à tout hispaniste. Le mal est dans les villes, et la pureté dans les campagnes… Tout n’est pas si simple sous nos cieux du XXIème siècle, bien éloignés du siècle d’or espagnol, mais l’idée court toujours.