Eric Poindron, Comme un bal de fantômes, éd. Le Castor Astral,
coll. « Curiosa & cætera », 1er juin 2017, 256
pages.
J’ai dansé au bal des fantômes
Cinq saisons et un
jour : de l’automne à l’automne suivant inclus, et de 23 heures à plus,
Eric Poindron embrasse sous la forme poétique tous ses papillons et ses
fantômes. Entendons par là les amis d’hier et d’aujourd’hui, morts ou rigolant
ici et maintenant. Ayant pour points communs la littérature et l’art ;
pour fraternité un rien, ou un tout, de brindezinguerie ou de vraie folie, un
fort penchant pour le fantastique et les mondes cachés à dévoiler ; et pour
convergence la région du champagne. Car Poindron amène à lui, et chez lui, tous
ses copains. Ses camarades. Ils sont tous là : de Gourio qui signe la
préface à Griette et Lapouge, en passant par Caillois, Massin, Jarry, Cabral,
Pessoa et tant d’autres.
A ces copains-là,
Eric Poindron fait un signe d’amitié littéraire et tendre. Il faut dire aux
gens qu’on les aime, et au-delà des siècles, et au-delà des civilisations
aussi. Un écrivain se bâtit sur le dos des textes des autres, et son territoire
est d’autant plus vaste que vaste est sa bibliothèque, physique ou mentale. La
bibliothèque d’un écrivain, c’est son carnet d’adresses. Pour Poindron, c’est
un carnet de bal, car il a le sens de la fête, et du partage. Les artistes
convoqués dans ce recueil ne forment pas à proprement parler une
« ronde », ce qui aurait rendu l’ensemble apprêté, et peut-être
égocentrique. Poindron ne se met point au centre de l’assemblée, même si le
« je » est omniprésent. Le terme de « bal » est tout à fait
approprié pour cet ensemble d’une douce alacrité, ou les figures dessinées par
les danseurs-écrivains-poètes-artistes sont autonomes, formant un tout dont
l’harmonie repose, justement, sur la juxtaposition des différences.
Pourtant, ils ont
tous quelque chose en commun, les invités du bal : ils appartiennent à la
confrérie des rêveurs et des voyageurs de commettes, des mauvais-genres et des
empêcheurs de penser en rond. Poindron donne, dans ce recueil, la définition
contraire du panthéon. Définition en creux, bien entendu. Les vivants et les
morts sont conviés à la fête, sans pompe, en toute complicité.
C’est peu dire que
je me suis sentie à l’aise dans ce bal de fantômes. Y retrouver Marcel Béalu,
Jean-Henri Fabre et Antonio Machado m’a émue, comme une surprise de happy few.
Mais le plus émouvant pour moi, sans doute, reste l’évocation que Poindron fait
de Nerval, et l’hommage au nageur que fut Lord Byron :
« Lord
Byron était boiteux
Pied
difforme et pied-bot
Lord
Byron adorait la natation
Lord
Byron était poète
La
natation fut sa plus grande poésie »