Antoine Bello, L’Homme qui s’envola,
éd. Gallimard, avril 2017.
Dans son dernier
roman, Antoine Bello dessine la fuite d’un homme qui a tout quitté alors que
rien ne l’y obligeait. Il s’appelle symboliquement Walker, cet homme qui fuit
une vie qui peut se résumer en un seul mot : réussite. Walker est à la
tête d’une entreprise florissante, principale concurrente de FedEx. Il est
marié à une femme qu’il aime et qui l’aime, ils ont trois enfants, sont riches
à millions. Alors, pourquoi fuir ce qui ressemble tout de même au bonheur
tel qu’on peut l’imaginer dans un feuilleton américain ? Et pourquoi
organiser sa disparition, faire croire à sa mort, plutôt que de choisir la
solution du divorce, sachant que l’argent n’entre pas en ligne de compte ?
Il a un problème, Walker. Un sacré problème d’ego. L’empathie, il ne connaît
pas. Il adore ses enfants mais ne supporte pas de devoir assister aux
compétitions de judo de son plus jeune fils. Il a des relations cordiales et
même chaleureuses avec ses employés et ses clients, mais la moindre digression
dans une conversation professionnelle le met aux cent coups. De quel droit lui
vole-t-on ainsi son temps ? Walker, c’est l’homme pressé. Que l’on songe
au roman de Paul Morand (1941).
Walker planifie sa
disparition, et balance son avion privé contre une montagne avant de sauter en
parachute. Déclaré mort, il pense être sorti d’affaire et débarrassé des
importuns. Mais c’est compter sans l’obstination d’un détective au nom, là
encore symbolique, de Shepherd. Cet enquêteur opère en free-lance pour les
compagnies d’assurance, il a son propre réseau de relais d’information –
concierges d’hôtel, etc. Lorsque le plus gros employeur du Nouveau-Mexique
disparaît aux commandes de son avion, et que l’on ne retrouve de lui que ses
chaussures et son téléphone portable, Shepherd flaire l’arnaque. Et la traque peut
commencer.
Antoine Bello fait
alterner les récits à la première personne des trois personnages
principaux : le détective, le fugitif, et l’épouse de ce dernier. Sarah
est tout d’abord dévastée par la mort de son mari, puis furieuse quand elle se
rend compte qu’il a mis en scène sa disparition. Incompréhension totale. Aucun
signe avant-coureur. Walker est un salaud. Le détective, en revanche, est un
homme certes obstiné, mais tout en bienveillance vis-à-vis de Sarah et de ses
enfants. Shepherd a un passé sentimental assez sombre, il est veuf sans enfant,
et sa vie se résume à la traque.
L’Homme qui s’envola
est un roman au suspens haletant, qu’il est difficile de lâcher jusqu’à
l’épilogue. L’intérêt est sans cesse maintenu par la course-poursuite du
détective et du fugitif : chacun à son tour devance l’autre, devine ses
pensées, anticipe sur ses actions. On en viendra, bien sûr, à l’idée du meurtre.
Que ne faut-il pas faire pour, enfin, être tranquille ? Paradoxalement,
Walker, dans sa fuite, n’est plus vraiment maître de son temps. Condamné à
contourner tous les pièges de son poursuivant, contraint de changer chaque jour
de motel minable, s’interdisant de prendre l’avion ou de louer une voiture, il
parcourt les USA en zigzag, en car ou en auto-stop. Il est devenu un errant, et
sa fuite n’aura pas de fin, même quand la poursuite du détective cessera.
Le personnage de
Walker est le type-même du salaud magnifique. Egoïste, égocentré, se suffisant
à lui-même et envoyant tout bouler sans remords. Solaire à sa façon, alors
qu’il doit rester dans l’ombre. Un personnage solidement bâti, qui aurait
mérité que l’on fasse l’économie d’un épilogue à l’eau de rose.