Michel Moatti, Retour
à Whitechapel, éd. Hervé
Chopin, 2013, et éd. 10/18, décembre 2015.
Les serial killers fascinent, fictifs ou bien réels. Quand ils ont tué
des êtres de chair et de sang, et non des personnages de fiction, ils
épouvantent. Lorsqu’ils n’ont pas été arrêtés, ils entrent dans la légende.
C’est le cas de Jack l’éventreur, qui en 1888 a assassiné au moins cinq femmes
dans le quartier de Whitechapel à Londres. Meurtres horribles avec mutilations
et éviscération. Fanfaronnade de l’assassin, qui expédie la lettre bien connue
« from hell », et un bout de rein. Des générations d’enquêteurs se
sont penchées sur le cas de Jack the Ripper. De multiples hypothèses ont été
avancées sur son identité, qui balaient la société londonienne des bas-fonds à
la famille royale. On se souvient peut-être de Portrait of a killer (2002) de Patricia Cornwell. Michel Moatti ajoute
sa pierre à l’édifice.
Moatti choisit de placer son
roman dans le Londres de 1941, durant le blitz. Amelia Pritlowe est infirmière,
elle soigne les blessés au cœur d’une capitale ensanglantée, et voilà qu’elle
apprend qu’elle est la fille de Mary Jane Kelly, la dernière victime de Jack
l’éventreur. Son père lui dévoile ce secret dans une lettre posthume. Mary Jane
Kelly n’a pas seulement été assassinée, elle a été anéantie. Dépecée. Lambeaux
de chairs découpés jusqu’à laisser les os à nu. Visage détruit. Cœur prélevé.
Du sang du sang du sang dans la chambre de Miller’s court. Amelia veut en
savoir plus sur le passé de sa mère, sur les victimes du monstre, sur le
Londres de cette époque. Elle intègre un club de ripperologie, un de ces
cercles où les détectives amateurs et les férus d’histoires non résolues
tentent de démontrer qui était Jack l’éventreur. Amelia a donc accès à de
nombreuses pièces du dossier. Elle avance dans sa quête, et dans son histoire.
Michel Moatti s’appuie sur
une documentation solide, et alterne dans son roman les carnets d’Amélia de
1941 et les flashbacks sur 1888. La partie historique est reconstituée de façon
réaliste, y compris dans le langage. On explore la misère et la solidarité, on
découvre le peuple des femmes livrées à elles-mêmes, le monde de l’alcool et de
la violence, de la crasse. Géographiquement, les beaux quartiers côtoient les
bas-fonds, et les hommes bien mis rôdent parfois autour des prostituées
édentées et soûles. La partie romanesque s’appuie, dans le dernier tiers du
livre, sur un ressort rudement malin : Amelia apprend, par ses recherches
dans son club, qu’un bébé était présent lors de l’assassinat de Mary Jane
Kelly. Ce bébé, ce ne pouvait être qu’elle, Amelia. Elle a donc vu le monstre.
Comment remonter aussi loin dans ses souvenirs et résoudre l’affaire ? Par
l’hypnose !
Michel Moatti mène l’enquête
via son personnage Amelia, et parvient à une conclusion plausible. Plausible,
et éventuellement satisfaisante. Mais résoudre l’affaire, au fond, quelle
importance ? De Retour à Whitechapel
le lecteur conserve avant tout l’image du bébé – fictif – assistant au meurtre
de sa mère, dans un contexte sociologique terrifiant et très bien mis en scène.
NB : sur Jack l'éventreur, lire également, sur ce blog : Jack l'éventreur de Robert Desnos.
*
NB : sur Jack l'éventreur, lire également, sur ce blog : Jack l'éventreur de Robert Desnos.