Robert Desnos, Jack
l’éventreur, éditions Allia,
1997, 62 pages.
Les surréalistes étaient
fascinés par le crime. Comme de Quincey, ils penchaient pour en faire un des
beaux arts. Fantomas était un de leurs personnages préférés. Dans la mythologie
du crime, le tueur en série, réel ou imaginaire, occupe une place particulière.
La fiction lui fait encore aujourd’hui la part belle, de Dexter à Hannibal
Lecter. Comme le fou, ou l’hystérique, le tueur en série met en lumière,
violemment, un pan effrayant de l’humain. Incompréhensible, sauf pour qui voue
sa vie à comprendre l’incompréhensible, à expliquer l’inexplicable : le
psychiatre, le psychanalyste, le profileur.
En 1928, Robert Desnos
rédige pour le journal Paris-Matinal
une série d’articles sur Jack l’éventreur et Joseph Vacher. Vacher, on s’en
souvient, a inspiré Jean Aurenche et Bertrand Tavernier pour le film Le Juge et l’Assassin. Jack l’éventreur,
tout le monde le connaît. Il est l’assassin par antonomase. Le tueur de femmes,
le dépeceur. Entré dans la légende autant pour l’horreur de ses crimes que pour
leur impunité. On ne l’a jamais démasqué, il reste une des figures du mal
impuni.
Dans ses articles, Robert
Desnos décrit les faits sans s’attarder sur les victimes. Ce sont des femmes,
pauvres, édentées, prostituées, déjà perdues. Leur supplice les fait entrer
dans la légende, comme leur assassin. Sans lui, personne ne se souviendrait d’elles,
comme personne ne s’en souciait à l’époque. Ce qui intéresse Desnos, dans
l’évocation de Jack l’éventreur, c’est avant tout le Londres de la fin du XIXe,
qui en 1928, date de la rédaction des articles, n’a rien encore
d’historiquement exotique. Desnos convoque le Paris d’Eugène Sue en parallèle.
La nuit, le crépuscule, le sang rouge sur le pavé luisant font un décor
irréaliste et mystérieux : « L’ivrognesse est toujours étendue sur le
trottoir au centre d’un grand tapis de pourpre où les astres se
reflètent ». Un décor surréaliste.
Bien des hypothèses ont été
émises à propos de l’identité de Jack the
ripper. Desnos raconte – en journaliste qui ne peut citer ses
sources ? En romancier ? – qu’un Ecossais le contacte après la
publication de ses articles. Cet « homme d’une soixantaine d’années, de
forte taille, de figure rouge et tannée comme si le sang avait été figé sous la
peau par l’action du soleil et de l’alcool » arbore une canne taillée dans
un caféier. « On sait que ces cannes, presque toujours originaires des
Indes Néerlandaises, sont assez rares du fait que dans ces pays lointains la
loi punit de mort, paraît-il, la mutilation d’un caféier ». Dans un Paris
nocturne, entre Saint-Sulpice et la rue Vavin, l’étrange Ecossais donne à
Desnos, qui nous la dévoile, une explication des crimes de Jack l’éventreur.
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NB : Sur Jack l’éventreur, lire
également, sur ce blog : Retour àWhitechapel de Michel Moatti.