samedi 14 novembre 2015

La guerre, la paix, la terreur et tout ça...


Pour Jean-Baptiste

J’ai commencé à rédiger un texte, et puis j’ai renoncé. Le titre était d'évidence "La guerre, la paix, la terreur, et tout ça..." La lectrice reste lectrice, incapable de passer le gué de la littérature, le père Tolstoï et le père Hugo, les vieux de la vieille, veillent, vaillants. Et le texte, on s’en fout. Je suis une foutue lectrice, lyonnaise et donc rompue à l'allumage des lumignons, et je n'ai pas réussi à trouver dans mes placards le moindre rogaton de bougie à déposer sur ma fenêtre (sur la fenêtre de la voisine d'en face, petite bonne femme énergique de 75 ans, une flamme tremblote). Voilà, on en est là. A fluctuer et à tenter de ne pas mergiturer. Je ne sais rien, dans ma chair, des heures sombres. Elles m’arrivent pas truchements : chaînes info, twitter, PdP (photos de profil) FB (Facebook) bleu-blanc-rougelisées – rituel auquel je me plie. J’ai vu du sang et entendu un pianiste jouer Imagine devant le Bataclan, j’ai entendu un juge antiterroriste et des journalistes à peu près ignares annoncer à nouveau l’apocalypse – mais je reste lectrice, et linguiste, l’apocalypse c’est autre chose, révisez votre grec. J’ai passé la nuit devant la tv, et la journée. J’ai pleuré en recevant « je vais bien » en réponse au texto que j’avais envoyé au seul Parisien qui m’importe vraiment, puis pleuré enfin sur les victimes, moi qui étais tranquillisée. Je suis allée promener mon vieux chien dans ma campagne de banlieue où rien, mais rien de rien, ne transpirait de l’actualité ambiante – il faisait encore jour, la voisine énergique n’avait pas encore sorti son lumignon du placard. Je suis là, devant mon écran – mes écrans, l’ordi, la tv, l’iPad qui bipe toutes les trois secondes ses notifications, et l’iPhone qui bipe les siennes, Europe1, France Culture, France TV info, l’Obs, le diable et son train – il est 20h09, le juge antiterroriste est sur France 2 et déclare que l’ennemi est surpuissant.
 
Je sais que je respire, que je soupire de rassurance à l’idée que le Musée d’Art Contemporain de la capitale des Gaules sera fermé mardi pour cause de deuil national. Je devais y emmener mes étudiants, pour la biennale d’art contemporain. Et l’art contemporain, soudain, ça sonne creux. Je ne sais pas encore ce que donnera la discussion – inévitable – avec mes étudiants lors de mon cours de mardi matin. Je sais que Manale – je la nomme, c’est mon étudiante voilée, il y a en une par promo dans mes promos – aura délié et dévoilé ses beaux et longs cheveux pour franchir les portes du lycée. J’espère – oh oui, j’espère ! – que le sang des rues parisiennes ne réactivera pas le clivage de Charlie.


Je tremble. On est samedi soir, samedi 14 novembre 2015, le pire est passé, je refuse de penser que le pire est devant nous. Le juge antiterroriste faisait allusion, il y a peu, dans les colonnes de Paris-Match, à un « Goncourt de la terreur » (= les attentats du World Trade Center). La lectrice, ce soir, ne confond pas la mort, et la vie, avec l’attribution des prix littéraires.