Pour Jean-Baptiste
J’ai commencé à rédiger un
texte, et puis j’ai renoncé. Le titre était d'évidence "La guerre, la
paix, la terreur, et tout ça..." La lectrice reste lectrice, incapable de
passer le gué de la littérature, le père Tolstoï et le père Hugo, les vieux de
la vieille, veillent, vaillants. Et le texte, on s’en fout. Je suis une foutue
lectrice, lyonnaise et donc rompue à l'allumage des lumignons, et je n'ai pas
réussi à trouver dans mes placards le moindre rogaton de bougie à déposer sur ma
fenêtre (sur la fenêtre de la voisine d'en face, petite bonne femme énergique
de 75 ans, une flamme tremblote). Voilà, on en est là. A fluctuer et à tenter
de ne pas mergiturer. Je ne sais rien, dans ma chair, des heures sombres. Elles
m’arrivent pas truchements : chaînes info, twitter, PdP (photos de profil)
FB (Facebook) bleu-blanc-rougelisées – rituel auquel je me plie. J’ai vu du sang et entendu un pianiste jouer Imagine
devant le Bataclan, j’ai entendu un juge antiterroriste et des journalistes à
peu près ignares annoncer à nouveau l’apocalypse – mais je reste lectrice, et
linguiste, l’apocalypse c’est autre chose, révisez votre grec. J’ai passé la nuit
devant la tv, et la journée. J’ai pleuré en recevant « je vais bien »
en réponse au texto que j’avais envoyé au seul Parisien qui m’importe vraiment,
puis pleuré enfin sur les victimes, moi qui étais tranquillisée. Je suis allée
promener mon vieux chien dans ma campagne de banlieue où rien, mais rien de
rien, ne transpirait de l’actualité ambiante – il faisait encore jour, la
voisine énergique n’avait pas encore sorti son lumignon du placard. Je suis là,
devant mon écran – mes écrans,
l’ordi, la tv, l’iPad qui bipe toutes les trois secondes ses notifications, et
l’iPhone qui bipe les siennes, Europe1, France Culture, France TV info, l’Obs,
le diable et son train – il est 20h09, le juge antiterroriste est sur France 2
et déclare que l’ennemi est surpuissant.
Je sais que je respire, que
je soupire de rassurance à l’idée que le Musée d’Art Contemporain de la
capitale des Gaules sera fermé mardi pour cause de deuil national. Je devais y
emmener mes étudiants, pour la biennale d’art contemporain. Et l’art
contemporain, soudain, ça sonne creux. Je ne sais pas encore ce que donnera la
discussion – inévitable – avec mes étudiants lors de mon cours de mardi matin.
Je sais que Manale – je la nomme, c’est mon étudiante voilée, il y a en une par
promo dans mes promos – aura délié et dévoilé ses beaux et longs cheveux pour
franchir les portes du lycée. J’espère – oh oui, j’espère ! – que le sang
des rues parisiennes ne réactivera pas le clivage de Charlie.
Je tremble. On est samedi
soir, samedi 14 novembre 2015, le pire est passé, je refuse de penser que le
pire est devant nous. Le juge antiterroriste faisait allusion, il y a peu, dans
les colonnes de Paris-Match, à un « Goncourt
de la terreur » (= les attentats du World Trade Center). La lectrice, ce
soir, ne confond pas la mort, et la vie, avec l’attribution des prix
littéraires.