Catherine Dousteyssier-Khoze, La Logique de l’amanite,
Grasset, août 2015, 224 pages.
De la mycologie considérée comme un des beaux arts
Nikonor Pierre de la
Charlanne a cent ans, il vit seul dans son château limousin. Il attend qu’on
vienne l’assassiner. Que sa sœur jumelle, Anastasie, à laquelle il voue une
haine exemplaire depuis toujours, envoie quelqu’un pour le tuer. De mort et
d’assassinat, il est beaucoup question dans ce roman étrangement suranné, qui
ne s’inscrit dans aucune des lignes du temps littéraire contemporain. Les
mémoires que le vieil hobereau de province rédige sur un cahier à couverture
rose relatent, sur le mode de l’implicite, sa vie de serial killer.
Nikonor a passé, avec sa
sœur, une enfance solitaire et retirée. Le château de la Charlanne est sis au
fin fond de la Corrèze, isolé de tout et de tous. La mère était une Anglaise
quelque peu évaporée et le père passionné par l’étude des champignons :
« Des années de recherche l’avaient convaincu que la région produisait au
moins trois espèces de champignons non répertoriées par la mycologie. » Des
précepteurs viennent instruire les deux enfants, et parfois disparaissent.
Nikonor suit les traces de son père de façon quelque peu détournée. Il
s’intéresse lui aussi aux champignons, mais de manière presque exclusive aux
cèpes et aux amanites. Aux cèpes pour leur beauté formelle, aux amanites pour
d’autres raisons qu’esthétiques… Il avoue : « J’ai, pour ma part,
toujours abordé la mycologie dans une perspective résolument
pluridisciplinaire. » Son monde idéal est sylvestre, son paradis est un
sous-bois : « Sans donner dans un panthéisme cosmique grandiloquent,
disons simplement que j’ai toujours préféré la compagnie des forêts et des
champignons à celle de mes semblables. » D’ailleurs, les champignons, il ne
les consomme pas, il leur est pour ainsi dire très attaché. En revanche, lorsqu’il
s’agit des hommes et des femmes…
Nikonor est un homme imbu
de sa personne, qui avance dans le siècle en s’émerveillant des avancées
technologiques, mais qui reste un indécrottable misanthrope. Il s’exprime avec
hauteur, dans une langue travaillée ponctuée d’expressions anglaises. Il répond
avec morgue au questionnaire de Proust, indiquant dans une de ses réponses que
son auteur contemporain préféré est Michel Houellebecq. La Logique de l’amanite est un roman à l’humour très anglais, moins
noir que lie-de-vin, comme les chapeaux des plus beaux bolets. La contribution
de Nikonor à la mycologie appliquée est peut-être le symptôme d’une vie de
province étriquée. Mais l’explication sociologique ou psychologique est à mille
lieues de cette confession déroutante, toute en ellipse.
Un premier roman bien
intrigant.
Bonus
Brève de comptoir
(Jean-Marie Gourio) : « Le Français est capable de donner des Juifs
pendant la guerre, mais dire un coin à champignons, ça, jamais ! » A
la fin du roman, Nikonor brûle les cartes Michelin sur lesquelles il avait
répertorié minutieusement les coins à cèpes de Corrèze…