dimanche 22 novembre 2015

Hugo orateur


Hugo orateur, anthologie et dossier de Myriam Roman, lecture d’image de Valérie Lagier, Folioplus Classiques n°285, 224 pages, 5 novembre 2015.


Le père Hugo, l’écrivain monstre, l’écrivain national. Une stature de héros des Lettres, un exil, des colères et des engagements, des funérailles nationales. La collection parascolaire Folioplus Classiques a l’excellente idée de proposer en ce terrifiant mois de novembre 2015 un choix de discours de Victor Hugo traitant de questions sociales, politiques et juridiques du XIXe siècle. Du XIXe siècle ? Ces questions-là sont toujours d’actualité : la liberté d’expression, le sort des plus pauvres, l’éducation, la peine de mort, le positionnement de la Russie… Certaines des justes colères de Hugo, proclamées notamment dans l’hémicycle, ont eu des prolongements heureux, bien après sa prise de parole. Myriam Roman, dans son introduction, fait toutefois remarquer que la parole du Victor Hugo orateur est avant tout une parole ancrée dans son temps, et rendant compte de son temps.

On le sait, Victor Hugo prend le parti, toujours, des faibles. Les pauvres, les ouvriers, les femmes, les enfants. Son engagement politique tient du romantisme et de la sincérité. Romantisme social, peut-être. Il est un héritier de la Révolution, un héritier conscient des terreurs de la Terreur, un amoureux des hommes et de la liberté, un être pétri d’Histoire et de ferveur. On l’aime aussi pour ça, le père Hugo. Pour ne jamais baisser la garde. Mais il reste, tout de même, un homme de son temps. Les lecteurs scolaires doivent être guidés dans l’appréciation de ses discours.

Les prisons, la place des femmes, la peine de mort, l’encouragement aux lettres et aux arts, rien à redire. Nous avons fait du chemin, sous nos climats, depuis le XIXe siècle. Nous avons fait du chemin, avec et grâce à Victor Hugo. En ce qui concerne l’éducation gratuite et obligatoire, aussi, bien entendu, nous avons avancé. Hugo était en première ligne législative sur le front de la loi Falloux (discours du 15 janvier 1850) contre la mainmise des autorités ecclésiastiques sur l’enseignement primaire et secondaire. Mais l’idée de Dieu, d’un dieu puissant et souverain, auquel on fait appel pour l’idée de liberté, Hugo en use dans son discours sur les Etats-Unis d’Europe, le 21 août 1849 : « Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis  d’Amérique , les Etats-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus  les mers […], améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ». Oui, vraiment, il faut un accompagnement pédagogique pour lire et remettre dans leur contexte les discours du père Hugo.

Nos lectures, comme nos états d’âme – si tant est que l’on ait une âme –, ne peuvent faire l’impasse sur l’actualité, ce qui en découlera, et ce qui vient en amont. En temps normal – mais qu’est-ce que le temps normal ?, désormais ? – j’aurais lu les discours du père Hugo selon un angle strictement littéraire, ou rhétorique, ou tout ce que l’on voudra. Enfin, selon un angle vaguement détaché, louant la prose parfaite et l’ancrage dans la modernité. Victor Hugo précurseur, ou quelque chose comme ça. Myriam Roman, esprit avisé et éclairé, nous met en garde contre les anachronismes. Le dossier pédagogique qu’elle propose est un modèle de mise en perspective : de la rhétorique révolutionnaire au choix arrêté de l’émotion, elle met à plat l’art du discours de Victor Hugo, l’explique et le contextualise. Un vrai et beau travail de chercheur et de pédagogue, la mise en perspective étant la pierre de touche de tout esprit éclairé. L’ici et maintenant ne sont pas l’hic et nunc de naguère. La tâche du professeur consiste à mettre en relief cette différence. Myriam Roman ne se défile pas, ne cède pas à la facilité admirative. Elle aide les enseignants à considérer l’immense œuvre hugolienne d’hier avec l’œil d’aujourd’hui. C’est ainsi que l’on doit lire les classiques.

A part ça, mon Totor, je t’aime (mais tu le savais).