Hugo orateur, anthologie et dossier de Myriam Roman, lecture d’image de Valérie Lagier, Folioplus Classiques n°285, 224 pages, 5 novembre 2015.
Le père Hugo, l’écrivain
monstre, l’écrivain national. Une stature de héros des Lettres, un exil, des
colères et des engagements, des funérailles nationales. La collection
parascolaire Folioplus Classiques a l’excellente idée de proposer en ce
terrifiant mois de novembre 2015 un choix de discours de Victor Hugo traitant
de questions sociales, politiques et juridiques du XIXe siècle. Du XIXe
siècle ? Ces questions-là sont toujours d’actualité : la liberté
d’expression, le sort des plus pauvres, l’éducation, la peine de mort, le
positionnement de la Russie… Certaines des justes colères de Hugo, proclamées
notamment dans l’hémicycle, ont eu des prolongements heureux, bien après sa
prise de parole. Myriam Roman, dans son introduction, fait toutefois remarquer
que la parole du Victor Hugo orateur est avant tout une parole ancrée dans son
temps, et rendant compte de son temps.
On le sait, Victor Hugo
prend le parti, toujours, des faibles. Les pauvres, les ouvriers, les femmes,
les enfants. Son engagement politique tient du romantisme et de la sincérité.
Romantisme social, peut-être. Il est un héritier de la Révolution, un héritier
conscient des terreurs de la Terreur, un amoureux des hommes et de la liberté,
un être pétri d’Histoire et de ferveur. On l’aime aussi pour ça, le père Hugo.
Pour ne jamais baisser la garde. Mais il reste, tout de même, un homme de son
temps. Les lecteurs scolaires doivent être guidés dans l’appréciation de ses
discours.
Les prisons, la place des
femmes, la peine de mort, l’encouragement aux lettres et aux arts, rien à
redire. Nous avons fait du chemin, sous nos climats, depuis le XIXe siècle.
Nous avons fait du chemin, avec et grâce à Victor Hugo. En ce qui concerne
l’éducation gratuite et obligatoire, aussi, bien entendu, nous avons avancé. Hugo
était en première ligne législative sur le front de la loi Falloux (discours du
15 janvier 1850) contre la mainmise des autorités ecclésiastiques sur
l’enseignement primaire et secondaire. Mais l’idée de Dieu, d’un dieu puissant
et souverain, auquel on fait appel pour l’idée de liberté, Hugo en use dans son
discours sur les Etats-Unis d’Europe, le 21 août 1849 : « Un jour
viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique , les Etats-Unis d’Europe, placés
en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers […], améliorant la création sous le
regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous,
ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de
Dieu ». Oui, vraiment, il faut un accompagnement pédagogique pour lire et
remettre dans leur contexte les discours du père Hugo.
Nos lectures, comme nos
états d’âme – si tant est que l’on ait une âme –, ne peuvent faire l’impasse
sur l’actualité, ce qui en découlera, et ce qui vient en amont. En temps normal
– mais qu’est-ce que le temps normal ?, désormais ? – j’aurais lu les
discours du père Hugo selon un angle strictement littéraire, ou rhétorique, ou tout
ce que l’on voudra. Enfin, selon un angle vaguement détaché, louant la prose
parfaite et l’ancrage dans la modernité. Victor Hugo précurseur, ou quelque
chose comme ça. Myriam Roman, esprit avisé et éclairé, nous met en garde contre
les anachronismes. Le dossier pédagogique qu’elle propose est un modèle de mise
en perspective : de la rhétorique révolutionnaire au choix arrêté de
l’émotion, elle met à plat l’art du discours de Victor Hugo, l’explique et le
contextualise. Un vrai et beau travail de chercheur et de pédagogue, la mise en
perspective étant la pierre de touche de tout esprit éclairé. L’ici et
maintenant ne sont pas l’hic et nunc de
naguère. La tâche du professeur consiste à mettre en relief cette différence. Myriam
Roman ne se défile pas, ne cède pas à la facilité admirative. Elle aide les
enseignants à considérer l’immense œuvre hugolienne d’hier avec l’œil
d’aujourd’hui. C’est ainsi que l’on doit lire les classiques.
A part ça, mon Totor, je
t’aime (mais tu le savais).