mercredi 26 août 2015

Le Cœur du problème de Christian Oster



Christian Oster, Le Cœur du problème, éd. de l’Olivier, août 2015, 192 pages.

Simon rentre chez lui, et trouve un homme mort dans son salon. Il lève les yeux, s’aperçoit que la balustrade de la mezzanine est cassée. Le type, donc, est tombé de là-haut. A été poussé ? Par qui ? Sa compagne Diane ? Celle-ci, médecin, doit être encore à l’hôpital, elle y est tous les vendredis après-midi. Mais Simon trouve Diane dans la maison, elle est en train de prendre un bain, et refuse de parler. Elle s’habille et s’en va. Voilà Simon face à face avec le cadavre. Que faire ?

L’intrigant Cœur du problème de Christian Oster débute comme un polar, ou un roman noir. Simon est le narrateur, ce qui ajoute à la pression que ressent le personnage. Mais il n’y a pas de réel affolement de la part de Simon, ni de colère. Une sorte de lassitude, ou d’apathie, s’empare de lui, avant qu’il ne se secoue plus ou moins, place le cadavre dans le coffre de sa voiture, et parte pour la ville voisine donner une conférence sur la guerre de cent ans. Pains de glace pour conserver le corps ? Il faudrait en acheter une centaine, à Ikea, et cela ne passerait pas inaperçu à la caisse. Trou creusé dans le jardin ? Oui, pourquoi pas… Du côté du potager…

L’un des aspects les plus intéressants de ce roman est le décor. Dans une ville, l’intrigue aurait été toute différente. Dans Le cœur du problème, nous évoluons à la campagne, quelque part en Normandie. Les routes sont plus ou moins désertes, les amis rares et encombrants, les temps morts nombreux. Diane ne répond pas au téléphone, et Simon décide d’aller déclarer sa disparition à la gendarmerie, histoire de prendre l’initiative sur une éventuelle enquête. S’il s’inquiète de la disparition de sa compagne, personne n’ira penser que… La gendarmette de service, à l’accueil, le rabroue plus ou moins, mais Henri, un gendarme qui prend sa retraite le jour-même, intervient dans la déposition.

Dès lors, Simon et Henri ne vont pratiquement plus se quitter. Commence une sorte de virée somnambulique, fantaisiste et anxiogène. Henri joue-t-il au chat et à la souris avec Simon ? Pourquoi Simon accepte-t-il de passer quelques jours chez la belle sœur d’Henri, avec le désormais ancien gendarme et son épouse ? Et que signifie cette descente de rivière en barque, parfaitement surréaliste ? Les épisodes s’enchaînent, comme dans un cauchemar éveillé : une fête dans un donjon remis à neuf, une maîtresse de maison plus très maîtresse d’elle-même, des conversations à double-sens, des faux-fuyants et des aveux.

Le Cœur du problème se lit sans temps mort, le lecteur avance en voulant savoir comment tout cela peut finir puis, la fin du roman venue, se satisfait d’un épilogue en forme d’équilibrisme. La résolution reste suspendue au bord du vide. L’écriture de Christian Oster, enroulée, compliquée, ajoute une part supplémentaire de malaise à la situation. Le lecteur suit les pensées méandreuses de Simon et avance avec lui. On s’est éloigné du roman noir, ou du polar. On s’est rapproché de l’observation des mœurs de la rurbanité contemporaine, peu éloignées de la province d’antan.

*

Extrait

« Henri, donc. En civil. J’étais en robe de chambre. On constatera que, alors que j’avais la possibilité de ne pas le faire, j’étais allé ouvrir. Ça pouvait être la factrice. Non que j’eusse attendu un recommandé. Je veux dire que ça pouvait être quelqu’un. Je commençais à ressentir le besoin d’avoir de la compagnie. Plutôt pas Paul, évidemment. Mais n’importe qui d’autre, ça m’allait. Plutôt pas Henri, évidemment. Mais, alors que j’avais eu tendance à m’isoler, après que les circonstances m’avaient amené à l’être de toute façon, isolé, je constatais que je ne me suffisais plus, que mon état d’égarement et d’inquiétude ne suffisait plus à me combler, et que, quitte à vivre avec la pensée de Diane au loin et celle du mort tout proche, situation dont la permanence me semblait pour l’instant à toute épreuve, j’aurais aussi pu inviter des gens à dîner ». (p. 80)