Christian Oster, Le Cœur du problème,
éd. de l’Olivier, août 2015, 192 pages.
Simon rentre chez lui, et
trouve un homme mort dans son salon. Il lève les yeux, s’aperçoit que la
balustrade de la mezzanine est cassée. Le type, donc, est tombé de là-haut. A
été poussé ? Par qui ? Sa compagne Diane ? Celle-ci, médecin,
doit être encore à l’hôpital, elle y est tous les vendredis après-midi. Mais
Simon trouve Diane dans la maison, elle est en train de prendre un
bain, et refuse de parler. Elle s’habille et s’en va. Voilà Simon face à face
avec le cadavre. Que faire ?
L’intrigant Cœur du problème de Christian Oster
débute comme un polar, ou un roman noir. Simon est le narrateur, ce qui ajoute
à la pression que ressent le personnage. Mais il n’y a pas de réel affolement
de la part de Simon, ni de colère. Une sorte de lassitude, ou d’apathie, s’empare
de lui, avant qu’il ne se secoue plus ou moins, place le cadavre dans le coffre
de sa voiture, et parte pour la ville voisine donner une conférence sur la
guerre de cent ans. Pains de glace pour conserver le corps ? Il faudrait
en acheter une centaine, à Ikea, et cela ne passerait pas inaperçu à la caisse.
Trou creusé dans le jardin ? Oui, pourquoi pas… Du côté du potager…
L’un des aspects les plus
intéressants de ce roman est le décor. Dans une ville, l’intrigue aurait été
toute différente. Dans Le cœur du
problème, nous évoluons à la campagne, quelque part en Normandie. Les
routes sont plus ou moins désertes, les amis rares et encombrants, les temps
morts nombreux. Diane ne répond pas au téléphone, et Simon décide d’aller
déclarer sa disparition à la gendarmerie, histoire de prendre l’initiative sur une
éventuelle enquête. S’il s’inquiète de la disparition de sa compagne, personne
n’ira penser que… La gendarmette de service, à l’accueil, le rabroue plus ou
moins, mais Henri, un gendarme qui prend sa retraite le jour-même, intervient
dans la déposition.
Dès lors, Simon et Henri ne
vont pratiquement plus se quitter. Commence une sorte de virée somnambulique,
fantaisiste et anxiogène. Henri joue-t-il au chat et à la souris avec
Simon ? Pourquoi Simon accepte-t-il de passer quelques jours chez la belle
sœur d’Henri, avec le désormais ancien gendarme et son épouse ? Et que
signifie cette descente de rivière en barque, parfaitement surréaliste ?
Les épisodes s’enchaînent, comme dans un cauchemar éveillé : une fête dans
un donjon remis à neuf, une maîtresse de maison plus très maîtresse
d’elle-même, des conversations à double-sens, des faux-fuyants et des aveux.
Le Cœur du problème se
lit sans temps mort, le lecteur avance en voulant savoir comment tout cela peut
finir puis, la fin du roman venue, se satisfait d’un épilogue en forme
d’équilibrisme. La résolution reste suspendue au bord du vide. L’écriture de
Christian Oster, enroulée, compliquée, ajoute une part supplémentaire de
malaise à la situation. Le lecteur suit les pensées méandreuses de Simon et
avance avec lui. On s’est éloigné du roman noir, ou du polar. On s’est
rapproché de l’observation des mœurs de la rurbanité contemporaine, peu éloignées
de la province d’antan.
*
Extrait
« Henri, donc. En
civil. J’étais en robe de chambre. On constatera que, alors que j’avais la
possibilité de ne pas le faire, j’étais allé ouvrir. Ça pouvait être la
factrice. Non que j’eusse attendu un recommandé. Je veux dire que ça pouvait
être quelqu’un. Je commençais à ressentir le besoin d’avoir de la compagnie. Plutôt
pas Paul, évidemment. Mais n’importe qui d’autre, ça m’allait. Plutôt pas
Henri, évidemment. Mais, alors que j’avais eu tendance à m’isoler, après que
les circonstances m’avaient amené à l’être de toute façon, isolé, je constatais
que je ne me suffisais plus, que mon état d’égarement et d’inquiétude ne
suffisait plus à me combler, et que, quitte à vivre avec la pensée de Diane au
loin et celle du mort tout proche, situation dont la permanence me semblait
pour l’instant à toute épreuve, j’aurais aussi pu inviter des gens à
dîner ». (p. 80)