Jérémy Fel, Les
Loups à leur porte, éd.
Rivages, 448 pages, août 2015
Voilà un premier roman dont
le titre a émergé parmi toutes les rumeurs sur la rentrée littéraire dès la
mi-juillet. Un roman placé, en quatrième de couverture, sous le triple signe de
David Lynch, Stephen King et Joyce Carol Oates, autant de talents auxquels on
peut ajouter Donna Tartt, puisque son roman Le
Chardonneret est évoqué également dans le texte. Pour un premier roman cela
fait beaucoup. Peut-être un peu trop.
La bande de couverture
représente une maison en flammes. Cet incendie, provoqué par un adolescent
terrifiant qui cause la mort de ses parents, est la première station du
calvaire. Le meurtre inaugural, celui du père et de la mère. D’autres meurtres suivent,
tous plus abominables les uns que les autres. Personne n’est épargné : des
épouses, des enfants, des parents à nouveau. Et pas seulement des meurtres,
mais des tortures, physiques et psychologiques. Les loups, effectivement. Des
loups solitaires, s’acharnant sur autant d’agneaux. Le seul, ou presque, à en
réchapper, est un personnage dont le patronyme est Lamb (« agneau »
en anglais).
Les épisodes se déroulent
principalement aux USA, avec quelques incursions en France, dans la région
d’Annecy notamment. Les longs trajets en voiture, les étapes dans les diners, les motels : tous les
éléments du décor américain sont mis en place. A Annecy, la maison où se
déroule un des épisodes est appelée « Manderley », du nom du manoir
du film Rebecca, le premier film
qu’Hitchcock ait réalisé aux USA. Les Etats-Unis du roman, où Jérémy Fel avoue
n’avoir jamais – encore – mis les pieds, sont un décor que tout lecteur connaît
et identifie aujourd’hui, grâce au cinéma, et sans doute encore plus aux séries
télévisées. Les Etats-Unis sont, dans l’inconscient collectif contemporain, le
paysage mental du crime, du meurtre, du sang.
Plus que le sang, qui
pourtant coule à flots continus, c’est une angoisse malsaine qui jaillit des Loups à leur porte. Les victimes sentent
planer autour d’elles la menace et le danger. Aucun moment de répit. Lorsqu’un épisode
calme, ou même tendre, est évoqué, le lecteur reste en alerte. Il va forcément
se passer quelque chose d’horrible. C’est, d’ailleurs, toujours le cas. Ou
presque. Psychopathes, sociopathes, pédophiles, il y a toujours un méga-méchant
au détour d’une page. Et pas un policier pour contrecarrer ses méfaits.
Ce qui retient l’attention,
dans ce roman, c’est la construction. Les titres des chapitres sont les prénoms
de quelques-uns des protagonistes, parmi lesquels se détache Mary Beth. Jérémy
Fel construit une trame narrative où les destins des différents personnages
s’entrecroisent, ou sont, d’une façon ou d’une autre, liés. Le lecteur doit
être attentif : telle jeune fille apparue sur le bord d’une route et
faisant un bout de chemin avec l’un des « loups » réapparaît soudain
sur scène pour un concert. L’enlèvement d’un enfant n’est évoqué que sous
l’angle du fait divers, et soudain l’ogre qui l’a enlevé et torturé entre dans
l’histoire, quelques chapitres plus loin. Le puzzle est ici solidement mené.
Jérémy Fel a été
scénariste. Cela se ressent dans son écriture, qui est très visuelle. Un piéton
traverse la rue, on voit ce que font les voisins par la fenêtre, sans que cela
interfère dans le déroulé des intrigues. On sort de la lecture de ce premier
roman quelque peu déconcerté : tant de sang, tant de malheurs, tant de
violence acceptée, sans aucune distance… David Lynch, Stephen King et Joyce
Carol Oates malaxent la peur, l’horreur et le gothique d’une façon autre, plus
incarnée et plus métaphorique à la fois. Pour ne prendre qu’un exemple, la
vraie trouille bleue, le vrai danger inattendu, réside dans la figure du clown
de Ça. Les loups du roman de Jérémy Fel avancent sans masque, et font leur
boulot de loup.