dimanche 23 août 2015

Les Loups à leur porte de Jérémy Fel



Jérémy Fel, Les Loups à leur porte, éd. Rivages, 448 pages, août 2015

Voilà un premier roman dont le titre a émergé parmi toutes les rumeurs sur la rentrée littéraire dès la mi-juillet. Un roman placé, en quatrième de couverture, sous le triple signe de David Lynch, Stephen King et Joyce Carol Oates, autant de talents auxquels on peut ajouter Donna Tartt, puisque son roman Le Chardonneret est évoqué également dans le texte. Pour un premier roman cela fait beaucoup. Peut-être un peu trop.

La bande de couverture représente une maison en flammes. Cet incendie, provoqué par un adolescent terrifiant qui cause la mort de ses parents, est la première station du calvaire. Le meurtre inaugural, celui du père et de la mère. D’autres meurtres suivent, tous plus abominables les uns que les autres. Personne n’est épargné : des épouses, des enfants, des parents à nouveau. Et pas seulement des meurtres, mais des tortures, physiques et psychologiques. Les loups, effectivement. Des loups solitaires, s’acharnant sur autant d’agneaux. Le seul, ou presque, à en réchapper, est un personnage dont le patronyme est Lamb (« agneau » en anglais).

Les épisodes se déroulent principalement aux USA, avec quelques incursions en France, dans la région d’Annecy notamment. Les longs trajets en voiture, les étapes dans les diners, les motels : tous les éléments du décor américain sont mis en place. A Annecy, la maison où se déroule un des épisodes est appelée « Manderley », du nom du manoir du film Rebecca, le premier film qu’Hitchcock ait réalisé aux USA. Les Etats-Unis du roman, où Jérémy Fel avoue n’avoir jamais – encore – mis les pieds, sont un décor que tout lecteur connaît et identifie aujourd’hui, grâce au cinéma, et sans doute encore plus aux séries télévisées. Les Etats-Unis sont, dans l’inconscient collectif contemporain, le paysage mental du crime, du meurtre, du sang.

Plus que le sang, qui pourtant coule à flots continus, c’est une angoisse malsaine qui jaillit des Loups à leur porte. Les victimes sentent planer autour d’elles la menace et le danger. Aucun moment de répit. Lorsqu’un épisode calme, ou même tendre, est évoqué, le lecteur reste en alerte. Il va forcément se passer quelque chose d’horrible. C’est, d’ailleurs, toujours le cas. Ou presque. Psychopathes, sociopathes, pédophiles, il y a toujours un méga-méchant au détour d’une page. Et pas un policier pour contrecarrer ses méfaits.

Ce qui retient l’attention, dans ce roman, c’est la construction. Les titres des chapitres sont les prénoms de quelques-uns des protagonistes, parmi lesquels se détache Mary Beth. Jérémy Fel construit une trame narrative où les destins des différents personnages s’entrecroisent, ou sont, d’une façon ou d’une autre, liés. Le lecteur doit être attentif : telle jeune fille apparue sur le bord d’une route et faisant un bout de chemin avec l’un des « loups » réapparaît soudain sur scène pour un concert. L’enlèvement d’un enfant n’est évoqué que sous l’angle du fait divers, et soudain l’ogre qui l’a enlevé et torturé entre dans l’histoire, quelques chapitres plus loin. Le puzzle est ici solidement mené.

Jérémy Fel a été scénariste. Cela se ressent dans son écriture, qui est très visuelle. Un piéton traverse la rue, on voit ce que font les voisins par la fenêtre, sans que cela interfère dans le déroulé des intrigues. On sort de la lecture de ce premier roman quelque peu déconcerté : tant de sang, tant de malheurs, tant de violence acceptée, sans aucune distance… David Lynch, Stephen King et Joyce Carol Oates malaxent la peur, l’horreur et le gothique d’une façon autre, plus incarnée et plus métaphorique à la fois. Pour ne prendre qu’un exemple, la vraie trouille bleue, le vrai danger inattendu, réside dans la figure du clown de Ça. Les loups du roman de Jérémy Fel avancent sans masque, et font leur boulot de loup.