Michel Lambert, Quand
nous reverrons-nous ?,
nouvelles, éd. Pierre-Guillaume de Roux, avril 2015, 192 pages.
Le nouvelliste belge Michel
Lambert nous revient avec un recueil intitulé Quand nous reverrons-nous ? Neuf nouvelles qui mettent en
scène des hommes qui, plongés dans la réalité du présent, reviennent sur un
épisode passé. Les souvenirs ont survécu, tendres ou lumineux, remplis de
promesses. Parviennent-ils à éclairer le présent ? Peut-on se fier à
eux ? Dans « Le Manteau bleu » (« Je n'ai pas rêvé,
pourtant. Le canal des Fusillés le long duquel nous marchions - où je marche en
ce moment - existe bel et bien »), le doute est instantanément évacué.
C’est réel, et c’était réel. Mais le narrateur ne se fait pas confiance, et
avoue « J’ai beau m’interroger sur les raisons qu’a ma mémoire de
falsifier la réalité à propos de points somme toute mineurs, aucune ne me vient
à l’esprit ». Un homme marche, met ses pas « au creux de [ses] jeunes
années », pense aux promenades effectuées avec son épouse, et l’enfant
tout petit. Une promenade vaut toutes les promenades. Pourtant, il s’attache à
l’une d’elles en particulier, d’où le désir, la jalousie, le plaisir et le
déplaisir sont inextricables.
Les hommes se souviennent,
et reviennent ; reviennent et se souviennent. Dans « La
Tempête », Ostende sert de décor au temps. Aux deux temps, que la langue
française ne différencie pas : celui qui passe, et celui qu’il fait. Le
vent souffle, on attend la vraie tempête. Un homme, Astier, revient dans un
hôtel où il paie sa chambre le double du prix normal, et il sait que c’est
normal, il a quelque chose à racheter. La servante lui prête à peine attention.
C’est une vieille histoire. Lui, quand il sent l’angoisse arriver, ne peut que
crier « Maman ! ».
Les hommes et les femmes ont
peur. Dans presque chaque nouvelle du recueil le mot apparaît, sans masque.
Quatre lettres qui ne se cachent pas, qui renvoient au présent ou au passé,
souvent à l’intrusion du passé dans le présent. Dans « L’Heure où je
meurs » (quel titre splendide !) Adrienne voit ressurgir Joseph. Il
porte le même Stetson que jadis, mais le chapeau et l’homme sont en bout de
course. La femme pense :
« […] combien on oublie vite.
Et combien surtout cette rencontre lui pesait. Combien, sans savoir pourquoi, ou n’osant se l’avouer, ce revenant lui faisait peur ; elle sentait peser sur elle une menace ».
On oublie vite ? Les
femmes, peut-être, chez Lambert, oublient vite. Les hommes, eux, reviennent, se
retournent. Ils sont pressés, pressés de revenir, de se retourner. La mort
guette, ou la déchéance, ou la fin du monde, toutes choses sur lesquelles ils
n’ont pas prise. Ils ne se débattent pas, ne se révoltent pas. Ils ont déjà
perdu, ne cherchent pas leur revanche. Ils sont défaits. Dans « Un amour
de 120 minutes », on supprime son émission à un animateur de radio :
« Il était rentré chez lui, effondré, en rage, un peu ivre aussi. Il lui avait demandé de le rejoindre au plus vite mais elle n’avait pas su trouver les mots pour le consoler, c’était une femme faite pour le bonheur, le faste, qui, plus que lui, croyait en l’avenir ».
Plus tard, à l’heure de la
fin du monde, l’animateur déchu cherche la femme qu’il a aimée et qui n’a pas
su le consoler.
Dans les neuf nouvelles de
ce recueil s’exprime aussi une sensualité parfois brusque, comme si le plaisir
était le seul sursaut possible. Dans « Une promenade parfaite », un
couple qui s’est rencontré par le biais d’un site de rencontres roule en voiture,
sans but, rouler pour rouler, parce qu’on n’a rien à se dire, rien à partager.
La femme dort. L’homme s’arrête parfois pour faire le plein et discuter avec un
pompiste qui a une jambe artificielle. On parle de la « douleur
fantôme », et l’on repart en croyant dur comme fer que l’on s’est fait un
ami. Plus tard, on glisse sa main entre les jambes de sa compagne tout en
conduisant.
Michel Lambert amplifie
souvent des situations personnelles et quotidiennes. Dans
« Princesse », il revisite la trajectoire d’une jeune femme
rencontrée lors d’un atelier d’écriture qu’il a animé. Dans « Madi »,
le restoroute où il a ses habitudes devient prétexte à mettre en scène
l’absence et l’attente. Quand nous
reverrons-nous ? est un titre qui évoque tout à la fois le futur et la
nostalgie, l’espoir et la défaite annoncée. Les hommes de Lambert évoluent sous
des cieux minutieusement scrutés, comme dans la nouvelle inaugurale « Les
Américains » :
« J’ai regardé le ciel dans l’espoir d’y voir un nuage, de me consoler à l’idée que même le ciel pouvait avoir un souci, aussi infime fût-il. Mais non, il n’offrait aux consciences terriennes qu’un bleu impavide et égoïste ».
La consolation ne vient ni
du ciel, ni des hommes, ni des femmes. Mais quelque chose a eu lieu, que l’on
tente de retrouver. Revenir sur ses pas, c’est toujours marcher. Avec Quand nous reverrons-nous ?, Michel
Lambert poursuit une œuvre sensible où les personnages évoluent sur un fil, et
ne sont jamais jugés.