samedi 2 mai 2015

Quand nous reverrons-nous ? de Michel Lambert



Michel Lambert, Quand nous reverrons-nous ?, nouvelles, éd. Pierre-Guillaume de Roux, avril 2015, 192 pages.

Le nouvelliste belge Michel Lambert nous revient avec un recueil intitulé Quand nous reverrons-nous ? Neuf nouvelles qui mettent en scène des hommes qui, plongés dans la réalité du présent, reviennent sur un épisode passé. Les souvenirs ont survécu, tendres ou lumineux, remplis de promesses. Parviennent-ils à éclairer le présent ? Peut-on se fier à eux ? Dans « Le Manteau bleu » (« Je n'ai pas rêvé, pourtant. Le canal des Fusillés le long duquel nous marchions - où je marche en ce moment - existe bel et bien »), le doute est instantanément évacué. C’est réel, et c’était réel. Mais le narrateur ne se fait pas confiance, et avoue « J’ai beau m’interroger sur les raisons qu’a ma mémoire de falsifier la réalité à propos de points somme toute mineurs, aucune ne me vient à l’esprit ». Un homme marche, met ses pas « au creux de [ses] jeunes années », pense aux promenades effectuées avec son épouse, et l’enfant tout petit. Une promenade vaut toutes les promenades. Pourtant, il s’attache à l’une d’elles en particulier, d’où le désir, la jalousie, le plaisir et le déplaisir sont inextricables.

Les hommes se souviennent, et reviennent ; reviennent et se souviennent. Dans « La Tempête », Ostende sert de décor au temps. Aux deux temps, que la langue française ne différencie pas : celui qui passe, et celui qu’il fait. Le vent souffle, on attend la vraie tempête. Un homme, Astier, revient dans un hôtel où il paie sa chambre le double du prix normal, et il sait que c’est normal, il a quelque chose à racheter. La servante lui prête à peine attention. C’est une vieille histoire. Lui, quand il sent l’angoisse arriver, ne peut que crier « Maman ! ».

Les hommes et les femmes ont peur. Dans presque chaque nouvelle du recueil le mot apparaît, sans masque. Quatre lettres qui ne se cachent pas, qui renvoient au présent ou au passé, souvent à l’intrusion du passé dans le présent. Dans « L’Heure où je meurs » (quel titre splendide !) Adrienne voit ressurgir Joseph. Il porte le même Stetson que jadis, mais le chapeau et l’homme sont en bout de course. La femme pense :

« […] combien on oublie vite.
Et combien surtout cette rencontre lui pesait. Combien, sans savoir pourquoi, ou n’osant se l’avouer, ce revenant lui faisait peur ; elle sentait peser sur elle une menace ».

On oublie vite ? Les femmes, peut-être, chez Lambert, oublient vite. Les hommes, eux, reviennent, se retournent. Ils sont pressés, pressés de revenir, de se retourner. La mort guette, ou la déchéance, ou la fin du monde, toutes choses sur lesquelles ils n’ont pas prise. Ils ne se débattent pas, ne se révoltent pas. Ils ont déjà perdu, ne cherchent pas leur revanche. Ils sont défaits. Dans « Un amour de 120 minutes », on supprime son émission à un animateur de radio :

« Il était rentré chez lui, effondré, en rage, un peu ivre aussi. Il lui avait demandé de le rejoindre au plus vite mais elle n’avait pas su trouver les mots pour le consoler, c’était une femme faite pour le bonheur, le faste, qui, plus que lui, croyait en l’avenir ».

Plus tard, à l’heure de la fin du monde, l’animateur déchu cherche la femme qu’il a aimée et qui n’a pas su le consoler.

Dans les neuf nouvelles de ce recueil s’exprime aussi une sensualité parfois brusque, comme si le plaisir était le seul sursaut possible. Dans « Une promenade parfaite », un couple qui s’est rencontré par le biais d’un site de rencontres roule en voiture, sans but, rouler pour rouler, parce qu’on n’a rien à se dire, rien à partager. La femme dort. L’homme s’arrête parfois pour faire le plein et discuter avec un pompiste qui a une jambe artificielle. On parle de la « douleur fantôme », et l’on repart en croyant dur comme fer que l’on s’est fait un ami. Plus tard, on glisse sa main entre les jambes de sa compagne tout en conduisant.

Michel Lambert amplifie souvent des situations personnelles et quotidiennes. Dans « Princesse », il revisite la trajectoire d’une jeune femme rencontrée lors d’un atelier d’écriture qu’il a animé. Dans « Madi », le restoroute où il a ses habitudes devient prétexte à mettre en scène l’absence et l’attente. Quand nous reverrons-nous ? est un titre qui évoque tout à la fois le futur et la nostalgie, l’espoir et la défaite annoncée. Les hommes de Lambert évoluent sous des cieux minutieusement scrutés, comme dans la nouvelle inaugurale « Les Américains » :

« J’ai regardé le ciel dans l’espoir d’y voir un nuage, de me consoler à l’idée que même le ciel pouvait avoir un souci, aussi infime fût-il. Mais non, il n’offrait aux consciences terriennes qu’un bleu impavide et égoïste ».

La consolation ne vient ni du ciel, ni des hommes, ni des femmes. Mais quelque chose a eu lieu, que l’on tente de retrouver. Revenir sur ses pas, c’est toujours marcher. Avec Quand nous reverrons-nous ?, Michel Lambert poursuit une œuvre sensible où les personnages évoluent sur un fil, et ne sont jamais jugés.