Jean-Claude Tardif, Navaja, Dauphine & accessoires, nouvelles, éd. Rhubarbe, mars 2015, 120 pages.
Dix nouvelles composent ce
recueil, mais la bonne définition est plutôt : dix nouvelles-chapitres
composent ce recueil-roman. Les textes de Navaja,
Dauphine & accessoires sont indépendants parce que chacun peut être lu
comme un tout. Mais la somme de ces « tout » raconte une autre
histoire, au cours plus long.
Le centre de ce
roman-par-nouvelles est le Kebab de Yachar. S’y retrouvent des types éclopés de
diverses façons, qui célèbrent une vie bancale autour de verres de vin et de
conversations parfois décousues, rarement interrompues, où se mêlent la
philosophie et le quotidien, la poésie et le trivial. La « navaja »
du titre tient le rôle principal, objet symbolique du meurtre et de la passion.
Le sang, c’est la mort et la vie. Dans une langue au plus près des personnages,
typée, balancée, Jean-Claude Tardif invente et recrée un monde qu’à l’évidence
il a exploré avec affection. Un monde qu’il aime, et qu’il
célèbre.
Le roman-par-nouvelles est
un genre à part entière, que Jean-Noël Blanc a théorisé avec humour et distance
lors d’un colloque de Louvain-la-Neuve. « La technique du montage est
maintenant familière aux lecteurs, comme le prouvent les thrillers destinés au
grand public et qui sont bien souvent composés de fragments. Les ruptures, les
sauts, le passage abrupt d'un plan à un autre, d'une scène à une autre, d'une
tonalité à une autre, et l'interprétation de ces cassures, nous en faisons
depuis bien longtemps le principe de notre perception des œuvres culturelles. »
Dans Navaja, Dauphine & accessoires,
il appartient effectivement au lecteur
de faire le montage final. De gros plans en plans larges, d’ellipses en
flash-back, le livre de Tardif se décline aussi en caméra subjective, en
suivant un « je » polymorphe et trompeur.
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Extrait :
« Ils étaient si beaux
quand ils sont entrés, que je n’avais pas pu m’en approcher, de crainte de
rompre le charme, de déranger quelque chose dans l’espace, de bouleverser la
grâce qui venait de passer ma porte. Je ne les connaissais pas mais bien qu’ils
fussent étrangers au lieu, il me sembla revoir à travers eux un autre
couple »… (p.75)
*
NB : merci à Serge
Cabrol, le directeur d’Encres Vagabondes, pour les références sur le
roman-par-nouvelles. On pourra lire aussi, sur EV, l'article de Dominique Baillon-Lalande à propos de cet ouvrage.