Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration avec
Virginie Neufville
Adrien Goetz, La Nouvelle Vie d’Arsène Lupin, éd. Grasset, avril 2015, 234 pages.
La littérature populaire a ses héros – elle repose sur eux. Son panthéon abrite nos
meilleurs amis et nos pires ennemis : D’Artagnan, Maigret, le docteur Cornélius,
Fleur-de-Marie, San-Antonio, Fantômas, Rouletabille… L’une de ses figures prépondérantes
est sans doute Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur. Y sont attachés des
lieux – Étretat avant tout –, des objets – monocle et huit reflets –, des
attitudes – galanterie et élégance. Lupin appartient à l’inconscient collectif,
né sous la plume de Maurice Leblanc, incarné sur les petits et grands écrans
par Robert Lamoureux, Georges Descrières ou Roman Duris (entre autres), chanté par
Jacques Dutronc.
Adrien Goetz ressuscite l’Arsène. Ressuscite ?
Disons qu’il prolonge le personnage, qu’il l’envisage sous l’angle du XXIe siècle,
ordinateurs et embryons congelés à la clé. Ce pourrait être retors et amusant –
et ça l’est. Mais l’intérêt du roman de Goetz réside avant tout dans la fidélité
au personnage princeps. Lupin est un mélancolique au grand cœur. Un voyou dandy. Un déclassé qui cherche sa revanche. Un dépressif qui ne
trouve son salut que dans le panache et la possession de la beauté, femmes ou œuvres
d’art. L’Arsène d’Adrien Goetz est conforme au modèle, revisité mais fidèle.
Tout commence, ici, à Strasbourg, sous la bâche
publicitaire qui occulte les travaux de la façade de la cathédrale. Paul
Beautrelet, descendant d’Isidore Beautrelet, le lycéen-détective personnage de L’Aiguille
creuse, marche sur les pas de son aïeul : étudiant vainqueur du
concours « ma thèse en trois minutes »,
il assiste en direct à la disparition des statues de la façade strasbourgeoise,
et se retrouve aux côtés de Lupin, hésitant
entre admiration et indignation. Joséphine Balsamo est aussi de l’aventure :
beauté séculaire, séductrice dominante, elle est l’un des fils conducteurs de
ces nouvelles aventures lupinesques, qui sont avant tout les nouvelles
aventures de Paul-Isidore Beautrelet. Le jeune homme n’est pas le candide de l’histoire,
il en est le lazarillo du lecteur contemporain. Paul-Isidore succombe aux charmes de la Cagliostro pour que l’histoire
- les histoires - continuent de nous captiver.
Pour pister un cambrioleur, il faut un détective.
Le Sholmès de Maurice Leblanc était ridiculisé, celui d’Adrien Goetz ne l’est
pas moins, remis à la sauce du XXIe siècle. Le Sholmès de Goetz est celui de
nos séries de télévision, celui qui vit avec un compagnon blogueur. L’axe du
monde s’est désaxé, nous penchons vers l’extrême Orient. Un maître de mangas,
et sa fille aux yeux verts, sont au centre d’une des aventures.
Car le « roman » que tisse Adrien Goetz
est un collier (de la reine ?) de petites perles indépendantes, chaque chapitre
étant une aventure en soi, maillon d’une chaîne plus ample, d’un sautoir. La
plus belle eau de ces chapitres est sans doute dans le chapitre 6, intitulé
« Le bouchon de cristal ». Lupin y apparaît défait, saturnien :
« Arsène Lupin se souvient d’avoir connu le spleen, la mélancolie des paquebots, la vague des passions, les dimanches d’août, la nausée des mauvais matins et la tristesse des fins d’amour, mais pas autant que ces derniers mois. Ils se sent seul ». (p. 166)
Lupin vit au sommet de la fondation Vuitton, son
ami Franck Gehry lui a aménagé un appartement secret. On n’est jamais aussi
seul qu’au sommet du luxe, peut-être. On s’ennuie. On regarde la télévision. On
manigance pour gagner un vague concours, on manipule le scénario… Ce chapitre -
cette aventure - nous place en pleine contemporanéité, sans dévier de la ligne
tracée par Leblanc. Lupin et Beautrelet se défient, tous deux roués, tous deux
fonceurs. La mort viendra, qui laissera l’un d’eux sur un carreau dérisoire –
tombé sous les balles d’un fantoche de renom –, et l’autre inconsolable. Jusqu’au
renversement final.
Dans « La lettre de l’auteur à Maurice Leblanc »
en fin d’ouvrage, et les remerciements du Post-scriptum, Adrien Goetz éclaire
le lecteur sur la composition de son ouvrage, et les détournements de
quelques-uns des personnages. « Ces sept aventures sont une fantaisie
contemporaine, écrites “pour le divertissement de l’auteur” », dit-il. Pas
seulement pour celui de l’auteur. Le lecteur contemporain trouve ici un
divertissement pétillant, intelligent, et élégant.
Lire l’article de Virginie Neufville sur ce roman
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