vendredi 15 mai 2015

Temps glaciaires de Fred Vargas



Fred Vargas, Temps glaciaires, éd. Flammarion, mars 2015, 496 pages.



Adamsberg n’a plus qu’un fils, et Camille a disparu. Non, ce n’est pas l’intrigue du nouvel opus de Fred Vargas, ce n’est qu’une constatation. Dans ces Temps glaciaires qui conduisent le lecteur dans l’espace et dans le temps – de l’Islande à la Révolution française – ils sont pourtant tous là : Danglard et Retancourt, Veyrenc et Noël, Estalère et Voisinet, et tous les membres de la brigade, tels qu’en eux-mêmes, inchangés. Lucio, le voisin manchot, est aussi de la partie. Mais sans Camille, et sans le petit – où sont-ils ?, que font-ils ?, est-ce qu’ils existent encore ? – ce roman manque de chair.

Oh, bien sûr, c’est un bon roman. Bien ficelé, à l’énigme bien tordue, une énigme à deux branches et un seul tronc. Une enquête qui oscille entre un voyage en Islande qui remonte à une dizaine d’années, durant lequel des touristes Français sont revenus moins nombreux qu’ils n’étaient arrivés, deux d’entre eux ayant trouvé la mort sur une île mystérieuse et brumeuse ; et l’Association d’Étude des Écrits de Maximilien Robespierre, un cercle d’amateurs d’Histoire qui rejouent, costumés et grimés, les grandes heures de la Constituante et de la Législative, reprenant à la lettre ou presque les discours de Robespierre. De l’Histoire et du Fantastique – ou tout au moins du folklore mystérieux – voilà la patte de Vargas. Sur l’île islandaise sévit un afturganga, pendant maléfique de l’elfe local. Sur l’association robespierrienne règne François Château, descendant de l’Incorruptible.

Oh, bien sûr, Adamsberg continue de pelleter les nuages tandis que les cadavres s’accumulent. Le commissaire est comme figé dans son personnage, il marche quand les autres s’assoient, il foule l’herbe au pied quand il pourrait emprunter une allée de gravier, il regarde couler la Seine en rêvant au Gave de Pau (1). Mais il n’est plus habité par la douleur, ou l’inquiétude. Dans Temps glaciaires, il fait son boulot de flic, il le fait bien et à sa manière si particulière, mais il n’émeut pas. Son pouvoir d’émotion et son pouvoir de séduction ont disparu.

L’enquête ronronne un peu, comme le chat du commissariat sur le capot de la photocopieuse. Tous les éléments sont bien à leur place : la marche traîtresse de l’escalier, le penchant de Danglard pour le vin blanc, la morsure de l’araignée que l’on n’a pas fini de gratter alors que le bras a été amputé et la métaphore filée qui va avec – mais cette métaphore-là, on la connaît par cœur.

Oh, bien sûr, les dialogues sont affutés. Enfin, la plupart du temps, ils sont affutés. Pas toujours. Parfois, ils stagnent au lieu de faire avancer l’action. Parfois ils sont redondants. Parfois, ils tombent à plat. De toute façon, ils sont omniprésents, ce roman est un roman de dialogues, donnant parfois l’impression de lire un scénario tout prêt pour l’adaptation télévisée.

Quant à la résolution de l’enquête, dont bien entendu nous ne dévoilerons rien ici, elle est calquée sur le motif d’ouverture de mon Vargas préféré, Un peu plus loin sur la droite. Je me demande ce que deviennent les Évangélistes. Ils me manquent. Le sanglier nommé Marc (pour marcassin), sur la couverture du roman, est peut-être une indication ? Puisque Adamsberg est en stagnation, ou tout comme, figé dans son image et sa posture, il serait peut-être temps de réactiver Marc Vandoosler, Mathias Delamarre, Lucien Devernois et Louis Kehlweiler.

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Notes
(1) Adamsberg (ou plutôt le traitement littéraire qu’on lui inflige) commence à m’énerver : il ne sait pas qui est Camille Desmoulins – à son âge, il a dû, logiquement, échapper aux réformes de l’enseignement de l’Histoire – et pour lui Aristote n’est qu’un nom, vide de sens et de contenu.
   
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Addendum
Temps glaciaires est publié chez Flammarion. Fred Vargas a quitté les éditions Viviane Hamy, la presse a rapporté le différend, je n’y reviens pas.
En page 6 de Temps Glaciaires une note en italique : « Nous remercions les éditions Adelphi de nous avoir permis de nous inspirer de l’une de leurs collections pour la maquette de couverture ».
No comment :