Fred Vargas, Temps
glaciaires, éd. Flammarion,
mars 2015, 496 pages.
Adamsberg n’a plus qu’un
fils, et Camille a disparu. Non, ce n’est pas l’intrigue du nouvel opus de Fred
Vargas, ce n’est qu’une constatation. Dans ces Temps glaciaires qui conduisent le lecteur dans l’espace et dans le
temps – de l’Islande à la Révolution française – ils sont pourtant tous
là : Danglard et Retancourt, Veyrenc et Noël, Estalère et Voisinet, et
tous les membres de la brigade, tels qu’en eux-mêmes, inchangés. Lucio, le
voisin manchot, est aussi de la partie. Mais sans Camille, et sans le petit –
où sont-ils ?, que font-ils ?, est-ce qu’ils existent encore ? –
ce roman manque de chair.
Oh, bien sûr, c’est un bon
roman. Bien ficelé, à l’énigme bien tordue, une énigme à deux branches et un
seul tronc. Une enquête qui oscille entre un voyage en Islande qui remonte à
une dizaine d’années, durant lequel des touristes Français sont revenus moins
nombreux qu’ils n’étaient arrivés, deux d’entre eux ayant trouvé la mort sur
une île mystérieuse et brumeuse ; et l’Association d’Étude des Écrits de
Maximilien Robespierre, un cercle d’amateurs d’Histoire qui rejouent, costumés
et grimés, les grandes heures de la Constituante et de la Législative,
reprenant à la lettre ou presque les discours de Robespierre. De l’Histoire et
du Fantastique – ou tout au moins du folklore mystérieux – voilà la patte de
Vargas. Sur l’île islandaise sévit un afturganga, pendant maléfique de l’elfe
local. Sur l’association robespierrienne règne François Château, descendant de
l’Incorruptible.
Oh, bien sûr, Adamsberg
continue de pelleter les nuages tandis que les cadavres s’accumulent. Le
commissaire est comme figé dans son personnage, il marche quand les autres
s’assoient, il foule l’herbe au pied quand il pourrait emprunter une allée de
gravier, il regarde couler la Seine en rêvant au Gave de Pau (1). Mais il n’est
plus habité par la douleur, ou l’inquiétude. Dans Temps glaciaires, il fait son boulot de flic, il le fait bien et à
sa manière si particulière, mais il n’émeut pas. Son pouvoir d’émotion et son
pouvoir de séduction ont disparu.
L’enquête ronronne un peu,
comme le chat du commissariat sur le capot de la photocopieuse. Tous les
éléments sont bien à leur place : la marche traîtresse de l’escalier, le
penchant de Danglard pour le vin blanc, la morsure de l’araignée que l’on n’a
pas fini de gratter alors que le bras a été amputé et la métaphore filée qui va
avec – mais cette métaphore-là, on la connaît par cœur.
Oh, bien sûr, les dialogues
sont affutés. Enfin, la plupart du temps, ils sont affutés. Pas toujours.
Parfois, ils stagnent au lieu de faire avancer l’action. Parfois ils sont
redondants. Parfois, ils tombent à plat. De toute façon, ils sont omniprésents,
ce roman est un roman de dialogues, donnant parfois l’impression de lire un
scénario tout prêt pour l’adaptation télévisée.
Quant à la résolution de
l’enquête, dont bien entendu nous ne dévoilerons rien ici, elle est calquée sur
le motif d’ouverture de mon Vargas préféré, Un
peu plus loin sur la droite. Je me demande ce que deviennent les
Évangélistes. Ils me manquent. Le sanglier nommé Marc (pour marcassin), sur la
couverture du roman, est peut-être une indication ? Puisque Adamsberg est
en stagnation, ou tout comme, figé dans son image et sa posture, il serait
peut-être temps de réactiver Marc Vandoosler, Mathias Delamarre, Lucien
Devernois et Louis Kehlweiler.
*
Notes
(1) Adamsberg (ou plutôt le
traitement littéraire qu’on lui inflige) commence à m’énerver : il
ne sait pas qui est Camille Desmoulins – à son âge, il a dû, logiquement,
échapper aux réformes de l’enseignement de l’Histoire – et pour lui Aristote n’est
qu’un nom, vide de sens et de contenu.
*
Addendum
Temps glaciaires est
publié chez Flammarion. Fred Vargas a quitté les éditions Viviane Hamy, la
presse a rapporté le différend, je n’y reviens pas.
En page 6 de Temps Glaciaires une note en italique :
« Nous remercions les éditions
Adelphi de nous avoir permis de nous inspirer de l’une de leurs collections
pour la maquette de couverture ».
No comment :