Jean-Christophe Duchon-Doris, Les Nuits blanches du Chat botté, éd. Julliard (2000) et éd. 10/18, collection « grands
détectives » (2004 et avril 2015).
La Haute
Provence en 1700. Plus précisément la vallée de la Blanche, près de Seyne-les-Alpes.
Des jeunes filles sont retrouvées mortes et à moitié dévorées, sans doute par
un loup. Ces bêtes-là hantent les forêts et les esprits. Près des corps, une
cape rouge, qui n’appartenait pas aux victimes. Le jeune
procureur Guillaume de Lautaret s’intéresse à l’affaire, surtout après qu’on a
découvert d’autres morts. Ce ne sont plus seulement des jeunes filles qui sont les
victimes, mais un paysan et sa femme, dont les bouches sont remplies de petits
cailloux. Puis un homme, que l’on a revêtu d’une peau d’âne.
Cape
rouge, petits cailloux, peau d’âne… Un serial-killer s’amuserait-il à décliner
en assassinats les Contes de ma mère
l’Oye ?
Les Nuits blanches du Chat botté est un roman policier rudement bien construit, à l’intrigue solide et
aux personnages bien campés. Le procureur est un jeune homme alerte, au sang
chaud. Il fait la connaissance d’une demoiselle qui s’ennuie dans un château,
entre une mère janséniste et une hôtesse qui ne cesse de ressasser la belle vie
qu’elle avait à la cour. Cette Delphine d’Orbelet est elle aussi vive et
alerte, curieuse de l’enquête, fine mouche et bonne lectrice. Bien entendu, un
couple se forme…
L’enquête policière sur
fond historique est un classique du genre. Ici, la documentation est on ne peut
plus solide, les lieux et l’époque sont rendus avec soin. Sans que cela tourne
au cours magistral, les conflits spirituels du temps sont expliqués et intégrés
à l’énigme (doctrine de Port-Royal, protestants, catholiques…). Quelques scènes
sensuelles, et même très « chaudes », donnent aux Nuits du Chat botté leur originalité. On sait depuis Bruno
Buttelheim que les contes de fées sont aussi des histoires de psyché et de
sexe. Les jeunes filles assassinées ont vu le loup, qu’il soit métaphorique ou
bien réel. La jeune Delphine, toute bien élevée qu’elle soit, prodigue à
l’homme qu’elle aime de jolies caresses avant le mariage. Le procureur, quant à
lui, trousse à la hussarde une belle femme du peuple qui pourrait bien être
sorcière… Un des chapitres les plus réussis est sans doute celui ayant pour toile de fond le retour de transhumance des troupeaux. Les bergers apparaissent
comme des hommes de liberté, fascinants et dangereux.
A Paris, le procureur
Guillaume va rendre visite à Charles Perrault. Le lecteur plonge alors au cœur
d’une histoire familiale et d’une querelle littéraire (non encore résolue
aujourd’hui) dans laquelle le père Charles aurait réécrit les contes que son
fils Pierre avait collationnés, ou racontés à sa manière. C’est d’ailleurs sous
le nom de Pierre Darmancour que les Contes
de ma mère l’Oye ont paru la première fois.
On pourra regretter,
peut-être, une écriture parfois ampoulée. Mais au fil de la lecture, la
curiosité prend le pas sur l’agacement. Et la résolution de l’énigme est
vraiment étonnante. Ce roman, qui débute par « il était une fois » et
s’achève sur « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup
d’enfants » n’est pas un conte de fée, mais une histoire bien ficelée, bien
documentée, qui parvient à réconcilier le réalisme historique avec le
merveilleux.