lundi 25 mai 2015

Les Nuits blanches du Chat botté de Jean-Christophe Duchon-Doris



Jean-Christophe Duchon-Doris, Les Nuits blanches du Chat botté, éd. Julliard (2000) et éd. 10/18, collection « grands détectives » (2004 et avril 2015).

La Haute Provence en 1700. Plus précisément la vallée de la Blanche, près de Seyne-les-Alpes. Des jeunes filles sont retrouvées mortes et à moitié dévorées, sans doute par un loup. Ces bêtes-là hantent les forêts et les esprits. Près des corps, une cape rouge, qui n’appartenait pas aux victimes. Le jeune procureur Guillaume de Lautaret s’intéresse à l’affaire, surtout après qu’on a découvert d’autres morts. Ce ne sont plus seulement des jeunes filles qui sont les victimes, mais un paysan et sa femme, dont les bouches sont remplies de petits cailloux. Puis un homme, que l’on a revêtu d’une peau d’âne.

Cape rouge, petits cailloux, peau d’âne… Un serial-killer s’amuserait-il à décliner en assassinats les Contes de ma mère l’Oye ?

Les Nuits blanches du Chat botté est un roman policier rudement bien construit, à l’intrigue solide et aux personnages bien campés. Le procureur est un jeune homme alerte, au sang chaud. Il fait la connaissance d’une demoiselle qui s’ennuie dans un château, entre une mère janséniste et une hôtesse qui ne cesse de ressasser la belle vie qu’elle avait à la cour. Cette Delphine d’Orbelet est elle aussi vive et alerte, curieuse de l’enquête, fine mouche et bonne lectrice. Bien entendu, un couple se forme…

L’enquête policière sur fond historique est un classique du genre. Ici, la documentation est on ne peut plus solide, les lieux et l’époque sont rendus avec soin. Sans que cela tourne au cours magistral, les conflits spirituels du temps sont expliqués et intégrés à l’énigme (doctrine de Port-Royal, protestants, catholiques…). Quelques scènes sensuelles, et même très « chaudes »,  donnent aux Nuits du Chat botté leur originalité. On sait depuis Bruno Buttelheim que les contes de fées sont aussi des histoires de psyché et de sexe. Les jeunes filles assassinées ont vu le loup, qu’il soit métaphorique ou bien réel. La jeune Delphine, toute bien élevée qu’elle soit, prodigue à l’homme qu’elle aime de jolies caresses avant le mariage. Le procureur, quant à lui, trousse à la hussarde une belle femme du peuple qui pourrait bien être sorcière… Un des chapitres les plus réussis est sans doute celui ayant pour toile de fond le retour de transhumance des troupeaux. Les bergers apparaissent comme des hommes de liberté, fascinants et dangereux.

A Paris, le procureur Guillaume va rendre visite à Charles Perrault. Le lecteur plonge alors au cœur d’une histoire familiale et d’une querelle littéraire (non encore résolue aujourd’hui) dans laquelle le père Charles aurait réécrit les contes que son fils Pierre avait collationnés, ou racontés à sa manière. C’est d’ailleurs sous le nom de Pierre Darmancour que les Contes de ma mère l’Oye ont paru la première fois.

On pourra regretter, peut-être, une écriture parfois ampoulée. Mais au fil de la lecture, la curiosité prend le pas sur l’agacement. Et la résolution de l’énigme est vraiment étonnante. Ce roman, qui débute par « il était une fois » et s’achève sur « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » n’est pas un conte de fée, mais une histoire bien ficelée, bien documentée, qui parvient à réconcilier le réalisme historique avec le merveilleux.