François Coupry, Le Grand Cirque du Cavalier chinois,
illustrations de Cyril Delmote, éd. Pascal Galodé, collection « Le
K », 23 octobre 2013, 222 pages.
Faire des
histoires avec sa propre histoire, voilà l’entreprise littéraire de François
Coupry depuis qu’il écrit et publie. Des histoires ni autobiographiques ni
autofictionnelles. Des histoires en forme de contes, où les fées sont étranges
et ambivalentes, prennent la forme inattendue d’un pharaon ou d’un vieux
Chinois. C’est lui, le Chinois Mao Ti, que nous retrouvons ici, « des
joues ridées, une tête de vieille pomme oubliée, et surtout, surtout, des yeux
bridés, des yeux que nous n’avions jamais vus, même pas en rêve ».
François Coupry, dans ses histoires,
revisite l’Histoire. La raconte autrement, l’envisageant dans le retournement
et comme un décor de théâtre. Car le théâtre, l’opéra, la
« représentation », sont pour lui le signe du mystère. Son masque.
Dans Le Grand Cirque du Cavalier chinois,
nous entrons sur la piste. Nous y entrons en spirale, dans une double mise en
abyme : le temps, et les personnages.
Italo est né en 1947. Il vit à Hyères
avec ses parents épiciers qui vendent des spécialités italiennes. Il ne se remet
pas de la mort de sa sœur Agata. Tout au long de son enfance – durant certaines
nuits – ses ancêtres viennent lui rendre visite. Ce sont des cadavres revenus
de l’histoire familiale, qui tous ont un rapport avec le monde du cirque. Ils
ont leur propre histoire à raconter, et un conte chinois à transmettre, car
tous ont rencontré le Chinois Mao Ti, qui a traversé les âges. Italo fait ainsi
la connaissance d’un villageois du temps de Charlemagne, d’un aristo anglais du
XVIIIe, de Nouma-Hawa la dompteuse… L’enfant consigne dans un cahier les contes
orientaux de Mao Ti, qui lui permettront non pas de se comprendre, mais de
comprendre la marche du cosmos. Les fantômes, eux, lui dévoileront quelques
secrets de famille et de filiation.
Lorsque Mao Ti explique à Italo que le
cahier dans lequel il a consigné les contes est promis à un certain François,
la mise en abyme prend une dimension supplémentaire : Mao Ti raconte des
histoires, qui sont rapportées ensuite à Italo par les fantômes de ses
ancêtres. Italo note les histoires dans un cahier, cahier que Mao Ti lui
demande de remettre à un certain François, projection dans la fiction de
François Coupry (né lui aussi en 1947), l’auteur du Grand Cirque… Chaque conte est accompagné d’un dessin, qui est
placé à la fin de chaque épisode, non comme une illustration, mais comme la
conclusion graphique du texte. Et tout à la fin du livre, après la table des
matières, dans une incise intitulée « Secret de fabrication »,
l’illustrateur Cyril Delmote prend la parole. Le lecteur apprend ainsi que les
dessins sont antérieurs aux textes, et que Coupry a élaboré ses histoires à
partir des illustrations. Ce qui remet en perspective la disposition du
livre : les dessins sont premiers, mais apparaissent à la fin des
chapitres. Si l’on prend en compte le fait que l’illustrateur, Cyril Delmote,
est le fils adoptif de l’écrivain, Le
Grand Cirque du Cavalier chinois raconte une histoire de famille et de
filiation qui est à envisager au moins au carré, si ce n’est au cube ou plus.
Il est comme ça, François Coupry :
il refuse de « se » raconter, et il refuse de raconter en ligne
droite. La courbe est sa « marque ». Il poursuit une œuvre dont
chaque pièce fait écho aux précédentes, mais pas forcément à celle qui précède
immédiatement. Là encore, il s’agit d’aller explorer en ne suivant pas
l’itinéraire rectiligne. En faisant réapparaître le personnage de Mao Ti (que
l’on trouve dans Les Contes du Cavalier
chinois, 1994 et Les Trois Coups du
Cavalier chinois, 2005), Coupry renoue avec un pan important de
l’imaginaire de certains des membres de la Nouvelle Fiction, le mouvement
littéraire auquel il se rattache : Frédérick Tristan, Patrick Carré, Jean
Levi. En faisant d’Italo un scientifique recevant le prix Nobel pour ses
travaux sur la cosmologie, il renvoie à sa propre exploration du monde et à la
transcription fictionnelle qu’il en a donnée dans son cycle des Cosmogonies. Tout se tient :
« j’allais peut-être […] faire comprendre les paradoxes du cosmos, au
moyen sans doute d’une fable de François », dit Italo dans la dernière
page. Mais tout finit – tout commence ? – sur la piste d’un cirque.
Avec Le
Grand Cirque du Cavalier chinois, le lecteur aborde un rivage singulier de
la littérature française contemporaine, loin des conventions du temps, et se
laisse emporter dans un tourbillon romanesque – on est tenté de dire
« dans une hyper-fiction » – qui le conduit vers le merveilleux de
l’enfance, le mystère des sentiments, la complicité avec un auteur.