Voilà. J’ai lu (et relu pour certaines des publications) les livres de Nina Allan. Je m’y suis plongée le 25 août, nous sommes à la mi octobre. Lire d’un seul élan tous les livres de Nina Allan mène au vertige. Les motifs s’entrecroisent, les situations se répondent, les personnages s’entrechoquent dans des arches narratives travaillées au petit point, de texte en texte. C’est de la broderie. Et parce que j’entrevoyais ce travail de broderie, moi l’ancienne brodeuse, j’ai achevé la lecture de l’œuvre complète par la novella Spin, qui reprend le mythe d’Arachné.
J’enrage un peu de ne pas avoir le temps, ni sans doute la force, de me lancer dans une étude approfondie des textes de Nina Allan. J’entrevois comment ça marche, dans ces textes-là. Je peux envisager, à gros surjet, l’arche narrative supérieure qui s’élabore de texte en texte, depuis les débuts. Mais, pour l’instant, et sans doute définitivement, je passe mon tour. Pourtant, il y a, dans cette œuvre encore en élaboration, tous les motifs qui me motivent et me meuvent depuis que j’analyse des textes.
Par exemple, la juxtaposition du réalisme et du fantastique, ou de la SF. Avec, souvent, une figure féminine centrale. Je pense à La Fracture, bien entendu, mais aussi à la nouvelle « Poussière d’étoile » du recueil Stardust. Autre exemple : le personnage de Maree, dans La Course. Les figures féminines sont, chez Nina Allan, victimes et victorieuses, perdues et sauvées. Encore un motif qui me remue, et que je traque, finalement, dans toutes mes lectures, je m’en rends compte : l’étrangeté du monde du cirque et des freaks. Une des plus belles nouvelles qu’il m’ait été donné de lire depuis que je lis est « La Porte de l’avenir », toujours dans le recueil Stardust. Le monde circassien y est apparié avec les horreurs de l’Histoire, par un glissement temporel qui est, de mon point de vue, la seule façon de dire l’indicible. Je pense ici au Verger de Georges-Olivier Châteaureynaud. Le Créateur de poupées met en scène un nain qui entretient une correspondance assidue avec une femme internée en HP. Leur point commun : les poupées, leur confection, l’histoire des leurs créateurs. Ce roman, remarquable, est une sorte de road movie tout autant physique que psychologique. Ce n’est pas l’étrangeté des personnages qui est interrogée, mais bel et bien l’étrangeté du monde que des êtres exceptionnels – par leur apparence physique ou leur univers mental – acceptent puis duquel ils décident de s’extirper. Les personnages de Nina Allan sont mus par une volonté qui n’a que peu à voir avec la volonté de puissance. Ils s’ébrouent. Gagnent une liberté qui leur est, par nature, par assignation politique, économique ou sociale, interdite.
Et puis, il y a la conduite du récit. Nina Allan est, à l’évidence, une nouvelliste. Une orfèvre de la miniature. Ses romans s’articulent selon des imbrications de textes qui ne sont pas des empilements, mais des tissages. Changement de narrateur, changement d’époque, remise en perspective. En trame et en lice, Nina Allan, de publication en publication, fait émerger le motif entier de son œuvre. Nous n’en connaissons pas encore le dessin complet.
Une dernière considération, qui pour moi a son importance : dans les remerciements de fin d’ouvrage – cette pratique très anglo-saxonne qui commence à se répandre dans l’édition française – Nina Allan salue toujours sa mère, et son compagnon. Son compagnon est un géant de la littérature, inutile de citer son nom ici. Elle aussi est une géante. Ils vivent tous deux en Ecosse, sur une île.
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Tous les livres de Nina Allan sont disponibles aux éditions Tristram, et quelques-uns en poche 10/18.