dimanche 3 avril 2022

Intérieur nuit de Marisha Pessl (2)

Marisha Pessl, Intérieur nuit (Night film), traduit de l’anglais (USA) par Clément Baude, Gallimard, août 2015, et éd. Folio, mai 2017.

Pourquoi relire ? Je relis souvent, depuis toujours. Ce n’est donc pas un signe de vieillesse. Revoir des films, ce n’est pas la même chose, l’investissement est moindre. Relire, c’est re-voler du temps à la contingence. Je m’aperçois que je relis des romans longs, des « pavés ». Toujours ce rapport au temps, sans doute. 



Je viens donc de relire Intérieur nuit de Marisha Pessl, en grande partie grâce à Virginie Neufville, ma lectrice préférée. Ce roman, je m’en souvenais. Je me souvenais aussi de l’article que j’avais rédigé en 2015, dans lequel je formulais l’hypothèse que le texte ne trouvait sa raison d’être qu’entre les pages 509 et 578. Aujourd’hui, il me semble encore que oui, que tout se joue là, dans ces soixante-dix pages. Mais en 2015 j’avais fait allusion à Roméo et Juliette. Alors que je viens de terminer ma relecture, il m’apparaît que Intérieur nuit raconte surtout l’amour des pères pour leur fille. L’amour du cinéaste Cordova pour Ashley, et l’amour du journaliste Scott McGrath pour Sam. Ils ont, tous deux, commis une faute qui les éloigne de leur enfant. Sur fond de magie noire, de fausses routes et de fausse acceptation, le roman déroule un fil rouge qui doit réunir les pères et les filles, et qui finalement réunit les deux pères.

Ce tout petit billet n’a que peu d’intérêt. Peut-être celui, tout de même, de rallonger la liste des correspondances entre les textes : si le fameux épisode de soixante-dix pages de Intérieur nuit me renvoie toujours au « Rapport sur les aveugles », cette partie centrale du roman Sobre héroes y tumbas de Sábato, le roman de Marisha Pessl m’a aussi fait penser à Notre part de nuit de Mariana Enríquez. Notons que dans ces trois romans, le cœur du sujet, c’est bien la relation père/enfant. Loin de la tragédie, de la faute des pères retombant sur les enfants, ces trois romans explorent, par le biais de la magie noire et-ou de la paranoïa, une part de la psyché inaccessible à la simple réduction au psychologique. Passer par l’explication magique, en littérature, ce n’est pas renoncer fondamentalement au rationnel, c’est emprunter des chemins plus obscurs pour déboucher sur des vérités simplement humaines. En littérature, hein. C’est-à-dire sur le plan symbolique, métaphorique. Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas écrit… La magie dans la vraie vie, c’est de l’intox. Dans la vraie vie, il faut raison garder. La vertu de la littérature c’est la transmutation. Car c’est dans la littérature que la magie opère.