mardi 10 mai 2022

Regards croisés (43) – Sang trouble de Robert Galbraith

Regards croisés

Un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville

Robert Galbraith (J.K. Rowling), Sang trouble, traduit de l’anglais par Florianne Vidal, éd. Grasset, février 2022, 928 p.


Sang trouble est le cinquième volet de la série policière mettant en scène les détectives Cormoran Strike et Robin Ellacott. Je me suis rendu compte que j’avais loupé un épisode, le quatrième, intitulé Blanc mortel, publié en français en 2019. J’ai lu en leur temps (et un peu oublié aujourd’hui, je dois bien l’avouer) L’appel du coucou, Le Ver à soie et La Carrière du mal. Je me souvenais que les intrigues policières m’avaient bien moins intéressée que l’évolution des sentiments et des relations entre Cormoran et Robin. Peut-être que toutes les séries policières – à la TV ou dans les romans – ne valent que par leur arche sentimentale ou familiale. L’élaboration de telles séries est une course de fond : réussir à former le couple d’évidence, ou rétablir des relations pérennes avec son enfant. Je renvoie, comme toujours, aux Experts, à Castle, et à Wallander, mais il y a des tonnes d’exemples. 

Et donc, j’ai lu Sang trouble. C’est long. Ça bifurque, ça fait des nœuds. C’est une histoire de cold case, pas très originale. C’est tout de même un peu original, parce c’est la première fois qu’une enquête que Cormoran et Robin est basée sur une affaire enterrée et déterrée. Comme dans chaque enquête de ce genre, l’héroïne disparue a à jamais l’âge de sa disparition… 

Il y a, dans Sang trouble, une incursion dans l’astrologie et dans l’ésotérisme qui donne un peu de piquant à l’énigme. Le premier policier chargé de l’enquête, à des décennies de là, a laissé un carnet rempli de gribouillis, de dessins et de digressions sur les différents suspects, les connexions entre les personnes. On y trouve des pentacles, un Baphomet, des allusions à Aleister Crowley, et des références à différents systèmes astrologiques, ce qui fait qu’Untel né sous le signe des Poissons peut aussi être Capricorne ou Serpentaire… Galbraith-Rowling donne à Cormoran Strike une attitude rationnelle, et laisse à Robin Ellacott le rôle de l’enquêtrice intéressée par la pensée magique. C’est un peu agaçant, et convenu. 

Bien entendu, le cas est résolu par Cormoran et Robin. L’assassin est un personnage très intéressant, bien caché. Mais ce qui est en jeu dans cette enquête, c’est avant tout la famille, et les liens perdus. C’est la fille de la victime qui fait appel à Cormoran et Robin pour résoudre le mystère de la disparition de sa mère il y a quarante ans. Celle-ci a été déclarée victime d’un serial killer qui n’a rien à envier à ceux que les films et séries nous proposent, mais une autre piste est possible. Durant l’enquête, qui s’étale sur des mois, et qui est menée en parallèle avec d’autres cas moins prégnants mais psychologiquement intéressants, Cormoran et Robin sont confrontés à des situations familiales difficiles. Robin n’arrive pas à conclure son divorce, Matthew fait reculer chaque fois la date de la médiation, pour tout d’un coup capituler – il a une bonne raison, urgente. Cormoran assiste impuissant à l’agonie de la tante qui l’a élevé en Cornouailles, et son rockeur de père veut absolument réunir une fratrie de façade. Cormoran ne veut pas assister à la réunion d’une fausse famille. Je passe sur l’épisode de Charlotte, l’ex de Cormoran… Le détective a une vie bien compliquée en dehors des enquêtes. La famille, c’est aussi celle formée par les différentes entités du Royaume Uni. L’enquête se déroule pendant la consultation sur l’indépendance de l’Ecosse, et un ami d’enfance de Cormoran insiste sur la particularité des Cornouaillais. 

Il y a, dans ce roman touffu aux multiples personnages et imbrications, un épisode particulièrement réussi : Cormoran et Robin se retrouvent dans une station balnéaire, Robin y a des souvenirs d’enfance, et Cormoran voudrait voir la mer. Mais le paysage urbain, toujours, la lui cache. C’est ce genre de scènes qui donne chair aux personnages, et les rend attachants. Plus encore, peut-être, que les élans amoureux sans cesse différés entre les deux enquêteurs. Pour l’instant, ils se sont déclarés « meilleurs amis ». On avance…

Il paraît que la série des enquêtes de Cormoran et Robin devait se composer de sept tomes, comme la série des Harry Potter. Sept, c’est bien, c’est un nombre magique. Il semblerait que l’on soit partis pour plus de tomes, en réalité. C’est dommage. L’idée d’une série d’enquêtes en nombre limité, annoncé d’avance, permet au lecteur d’anticiper sur la vraie conclusion de l’arche narrative – le couple amoureux formé par Robin et Cormoran – et à l’auteur de jouer avec les nerfs des lecteurs en ayant prévu à l’avance une fin inattendue, ou désarmante. Je parierais volontiers que ce couple ne se formera jamais.

Toujours est-il que Sang trouble est un bon roman, peut-être un peu longuet. Les stéréotypes du genre ne sont pas écartés : les femmes sont des victimes, les enfants sont sacrifiés, les parents sont absents et ceux qui les remplacent sont admirables, etc. Dans la résolution du cold case, et sans rien divulgâcher, on peut tout de même noter que la piste du serial killer n’était pas mauvaise, on s’était tout juste trompé de serial killer… Je ne peux aller plus avant, ici, dans la divulgation, mais je note que le modus operandi et les « armes » employées par les serial killers, dans ce roman, sont aussi stéréotypés. Galbraith-Rowling appuie son savoir-faire sur des bases solides de narration et de références. C’est impeccablement mené, sur deux fronts : celui de l’enquête factuelle, et celui de l’arche sentimentale. Galbraith-Rowling a fait le job. 

Lire l’article de Virginie Neufville