Le Minot Tiers, La lune, l’étoile et le flocon, éd. La ligne d’erre, janvier 2020, 199 pages.
Le dernier volet
de la trilogie de Le Minot Tiers porte un titre qui a des allures d’arcanes de
tarot : la lune, l’étoile, auxquelles on ajoute une pincée de légèreté
éphémère et saisonnière, le flocon. C'est l'indice qu'il y a là quelque chose à déchiffrer, à décrypter. On ne divulgâche rien dans cette
introduction en signalant que ces trois termes sont des métaphores de la
littérature, on plutôt sont une seule métaphore de la littérature : la
lune, qui par sa face cachée est symbolique du réel et de l’imaginaire ;
l’étoile, dont on aperçoit encore le scintillement alors qu’elle est déjà morte
est la postérité de l’écrivain ; le flocon, c’est la légèreté de l’idée
qui naît, et qui, par… effet boule de neige… donne corps au roman (1)
La lune, l’étoile et le flocon peut – et doit, sans doute, en premier
lieu – se lire comme un roman. Un roman d’aventure, dont la première partie se
déroule en Islande alors que les volcans se réveillent et que les Islandais
deviennent des réfugiés géologiques. On assiste à l’histoire d’amour entre le
narrateur et une belle Islandaise qui a eu quelques conflits avec sa mère. On
se réconcilie, on boit du bon vin, on revient sain et sauf en France. Dans la
deuxième partie, comme Le Minot Tiers nous y a déjà habitué avec les deux
premiers volets de la trilogie, les rôles et les noms des personnages sont redistribués
dans une danse effrénée qui change la donne romanesque mais ouvre sur d’autres
perspectives, celles de la réflexion sur le roman et l’imaginaire.
Le Minot Tiers, de
son vrai nom Lionel Dupuy, enseigne l’histoire et la géographie en occitan – ce
qui, personnellement, me ravit, et ce qui nous vaut quelques tirades en
béarnais, « qu’ès sus la bona via » par exemple, qui signifie
« tu es sur la bonne voie », et sur la bonne voie, nous y allons,
donc. L’éruption du volcan islandais fait référence au Voyage au centre de la terre de Jules Verne, auteur auquel Lionel
Dupuy a consacré quelques recherches universitaires. Dans le Voyage vernien, le romancier-chercheur voit
une métaphore, là aussi, de la littérature : descendre au plus profond, observer
l’inconnu, chercher la sortie – i.e. explorer toutes les possibilités de
l’intrigue – et finalement jaillir du cratère, et créer. Dans la deuxième
partie de La lune, l’étoile et le flocon,
les références sont clairement données : on cite, par exemple, Gilbert
Durand, l’auteur entre autres des Structures
anthropologiques de l’imaginaire, et l’on donne l’une des définitions
possibles de la littérature postmoderne. On pourrait penser que là, on est dans
le dur, mais les allusions universitaires sont imbriquées dans le roman, et ça
passe crème.
On peut affirmer
que cette trilogie relève d’un genre hybride, celui de la recherche littéraire
appliquée. Comment mettre en roman les théories ? Comment prouver, par le
texte lui-même, que la théorie tient debout ? Il s’agit d’entreprendre le
chemin de retour : avoir analysé en amont les textes des autres auteurs,
en avoir tiré des théories, avoir lu les théories adjacentes, et mettre tout
cela en mots vivants, sans l’attirail universitaire. C’est, je crois,
l’entreprise dans laquelle s’est lancé Lionel Dupuy. Ça tient sur le fil, c’est
assez acrobatique, mais ça résiste. Grâce, entre autres, à l’humour, et à
l’usage non pas de la métaphore, mais de l’explication de la métaphore. Car il
ne faut pas perdre le lecteur en route.
Lionel Dupuy est
géographe, il a publié un essai – tiré de sa thèse de HDR – intitulé L’Imaginaire géographique, essai de
géographie littéraire, dans lequel il s’intéresse particulièrement à
Proust, Gracq et Carpentier. Autant dire que, lorsqu’il passe au roman, à la
mise en forme romanesque, il a bien bûché son sujet. Dans la trilogie, la
référence à la géographie de l’imaginaire est intriquée dans l’exploration tout
court de l’imaginaire, qui, comme nous le savons au moins depuis les
publications des membres de la Nouvelle Fiction, est un territoire à part
entière. En lisant cette trilogie, j’ai beaucoup pensé à François Coupry. Sa
géographie littéraire personnelle n’a que peu de frontières, on vit en Chine ou
en Camargue, mais la Chine est réinventée et la Camargue indépendante, pour ne
citer que ces deux exemples. Et la géographie littéraire – et imaginaire – de
Coupry ne se limite pas à l’espace, elle épouse aussi les courbes du temps,
elle explore les souterrains de l’histoire.
Avec la trilogie
de Le Minot Tiers, nous pénétrons dans un territoire dont les frontières sont
limitrophes du continent néo-fictionnel, et dont les rivages ouvrent sur l’océan
de la recherche universitaire. Voilà une hybridation courageuse, une entreprise
littéraire vraiment intéressante. Quel que soit le niveau de lecture que l’on
adopte, la déstabilisation est au rendez-vous, et c’est bien ce que réclame le
lecteur – la lectrice –, non ? Être surpris, secoué, bousculé.
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Notes
1 –
Georges-Olivier Châteaureynaud a théorisé et métaphorisé la différence entre la
nouvelle et le roman selon la même image : la nouvelle, c’est le petit
grain de sable dans l’huître qui devient perle, alors que le roman, c’est le flocon
de neige qui dévale la pente, et qui grossit, grossit, grossit, jusqu’à devenir
une énorme boule.
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Lire mon article sur le premier volet de la trilogie
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Pour se procurer
le roman, et la trilogie, voir sur le site de la maison d’édition La ligne d’erre