Patrick Tudoret, Juliette, éd.
Tallandier, 9 janvier 2020, 272 pages.
La Juliette du
titre, c’est Juliette Drouet, la compagne de Victor Hugo. Le mot
« compagne » lui va comme un gant, même s’il n’est pas très juste en
l’occurrence. Juliette était la maîtresse de Victor, mais Victor a eu plus
d’une maîtresse. Juliette a toujours été là, est toujours restée auprès de son
grand homme, mais elle et lui ne vivaient pas sous le même toit. Le roman
débute sur une crise, Juliette s’est enfuie après une infidélité de Victor,
elle est désespérée, il la cherche partout, tout aussi désespéré, mais elle
n’en sait rien. Nous sommes en 1873, Juliette vivra encore dix ans, Victor ne
lui survivra que deux petites années. La crise passe. Le couple est reformé.
Patrick Tudoret
fait parler Juliette à la première personne, et nous livre une sorte
d’autobiographie romanesque. La voix de Juliette, nous la connaissons, nous
avons les milliers de lettres qu’elle a envoyées à son « Toto » et
les réponses que Toto a envoyées à sa « Juju ». On retrouve dans ce
roman le caractère quelque peu exalté de la jeune femme, puis de la femme mûre,
puis de la vieille femme. Leur liaison durera cinquante ans. On connaît
l’histoire : l’épouse de Victor Hugo, Adèle, est la maîtresse de
Sainte-Beuve bien avant l’entrée en scène de Juliette Drouet. La liaison avec
Sainte-Beuve prend fin, mais Juliette reste la maîtresse officielle de Hugo.
Cela est moderne, ou pas. Cela a des allures d’« arrangement », mais
ça n’en est pas vraiment un. Le lien entre Victor et Juliette est au-delà de
l’amour, et au-delà de l’adultère. Juliette est bien la « compagne ».
C’est elle qui recopie les manuscrits de Hugo, par exemple.
Le roman de
Patrick Tudoret dessine le portrait d’une femme intelligente et sensible, douée
pour le bonheur malgré les épreuves. Juliette et Victor voyagent ensemble en
Europe, vivent ensemble les troubles politiques, les angoisses de la fuite, l’exil.
C’est sans doute à Guernesey que Juliette et Victor ont passé leurs années les
plus heureuses. Installés très près l’un de l’autre – Victor et sa famille à
Hauteville House, Juliette dans une maison d’où elle a vue sur le look-out et
peut observer l’amour de sa vie écrire debout face à la mer, puis faire sa
gymnastique tout nu – ils se voient chaque jour. Victor et ses fils viennent
déjeuner chez Juliette.
De leur première
rencontre en février 1833 à la mort de Juliette en 1883, ils ne se quitteront
jamais. Ils vivront tout ensemble : les joies et les épreuves, parmi
lesquelles la perte des enfants. Patrick Tudoret nous montre l’itinéraire d’une
femme amoureuse et modeste. Juliette était une femme remarquable, pas du tout
une maîtresse de l’ombre mais une sorte de génie tutélaire. Elle tient une
place tout à fait à part dans l’histoire des lettres françaises, mais elle y a sa
place, indéniablement. On peut imaginer que Victor Hugo, tout Hugo qu’il ait
été et soit devenu, n’aurait pas été le même sans Juliette Drouet. Ni dans la
vie, ni dans la littérature.
Le roman de
Patrick Tudoret, très bien documenté, nous invite dans l’intimité de ce couple
exceptionnel.