Bertrand Leclair, Aux confins du soleil,
éd. Mercure de France, 6 février 2020, 200 pages.
Voilà un roman
historique qui n’en est pas vraiment un, et un récit de fascination qui tourne à
l’enquête fiévreuse comme dans une enquête policière. Un roman étonnant et
érudit, qu’on ne peut, décidément, pas classer dans une catégorie définie.
Nous sommes à la
fois à Paris au XXIème siècle, et aux côtés de Jean-Baptiste Tavernier lors de
son dernier voyage dans les années 1687-1689. Nous lisons deux aventures en
même temps, contées par un narrateur à qui l’on a confié la tâche de lire le
cahier écrit par le tout jeune secrétaire de Tavernier, et d’en rédiger une
sorte de présentation. Jean-Baptiste Tavernier était un voyageur, et au XVIIème
siècle, cette dénomination tient tout autant de l’aventure que du négoce.
Principalement tourné vers l’Orient, Tavernier commerce avec les Indes pour le
compte des grands du temps, parmi lesquels Louis XIV. On lui doit des récits de
voyage sur Java, le Japon, les mines de Golconde… Tavernier était protestant,
et la révocation de l’édit de Nantes le met en mauvaise posture. A plus de
quatre-vingts ans il entreprend un dernier voyage, quelque peu mystérieux quant
à ses finalités. Il meurt à Moscou. Voilà pour l’Histoire. L’histoire du roman
de Bertrand Leclair met au centre de l’action le petit secrétaire de Tavernier,
Melchior Soubeyran. Le cahier que l’on confie au narrateur soulève quelques
interrogations : au fil des pages, l’écriture se modifie et la graphie
devient chaotique. Du récit calligraphié, suivant parfaitement les lignes
tracées sur le papier, on passe au fil des mois à des ratures, des lignes
brisées. Comme si le fond et la forme s’épousaient, les délires de Tavernier
rapportés par le petit scribe semblant s’inscrire dans la folie et dans le
papier même. Qu’y a-t-il sous les ratures ? Quelle fièvre est en
marche ? Le narrateur s’ingénie à déchiffrer tout cela, fébrilement.
Ce narrateur du
XXIème siècle, littéraire désargenté vivant plus ou moins de la générosité d’Edouard
– le libraire d’ancien qui lui confie le cahier de Melchior – est emporté par sa
lecture. Sans doute s’identifie-t-il au jeune garçon embarqué, lui, dans le
dernier voyage de son maître, dépassé par ce qu’il découvre, comprend, imagine
et-ou invente. Et d’ailleurs, ce cahier, existe-t-il ? Et nous autres,
lecteurs, que sommes-nous en train de lire, véritablement ? La résolution
a lieu au café de Flore, ce lieu hanté par les écrivains.
On peut songer, en
lisant Aux confins du soleil – toutes
proportions gardées – à Là où les tigres
sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès. La mise en parallèle de deux
aventures par-delà les siècles, et le dessillement du narrateur-lecteur
candide.
Aux confins du soleil est un roman qui tend vers l’hallucination, qui nous fait (re)découvrir
la figure historique de Jean-Baptiste Tavernier et nous plonge dans les
circonvolutions de la vérité d’un texte.