dimanche 25 août 2019

A la demande d’un tiers de Mathilde Forget


Mathilde Forget, A la demande d’un tiers, éd. Grasset, 21 août 2019, 162 pages.


Lorsqu’un de ses parents se suicide, quelque chose de mystérieux demeure, qui n’est pas forcément la raison de l’acte. Deux premiers romans, en cette rentrée littéraire, abordent ce thème. Celui d’Anne Bennet, intitulé Revoir Benny, aux éditions du Cerf, dont je parlerai par ailleurs, et A la demande d’un tiers, de Mathilde Forget, chez Grasset. Le père d’Anne Bennet s’est donné la mort alors que sa fille était adolescente. Dans le roman de Mathilde Forget, c’est la mère qui s’est jetée du haut de la tour d’un château où est exposée une tapisserie de l’Apocalypse, alors que sa fille cadette était enfant. Si les démarches des narratrices sont les mêmes – aller interroger la famille, et les médecins – le traitement est radicalement différent.

Le sujet de A la demande d’un tiers, c’est bien la folie. Comment sait-on que l’on est fou, ou folle ? La mère avait effectué des séjours en hôpital psychiatrique, et la fille aînée, Suzanne, est elle aussi internée, « à la demande d’un tiers » selon la formule administrative, un tiers qui est sa sœur, la narratrice, donc. Il n’y a pas de mystère à proprement parler dans ce roman, pas d’enquête à résoudre. La mère était schizophrène, le traitement qu’elle prenait tend à le prouver, même si un de ses médecins, interrogé par la fille, ne peut que déclarer « vous savez, votre mère reste pour moi un mystère. »

Le sujet n’est pas gai, on en conviendra. Tout est dans le ton. Mathilde Forget parvient à rendre drôle, d’une drôlerie cocasse, sa peur de la folie. Est-elle atteinte ? Est-elle normale ? Est-ce normal de détester Bambi, le petit faon qui a perdu sa mère et dont l’unique larme envahit tout le museau ? Est-ce normal de se rendre à l’école le jour de la mort de sa mère en costume de cow-boy ? La folie de la mère, et celle de la sœur, sont un arrière-plan qui permet à la narratrice de se regarder et de s’interroger sur son propre comportement. C’est drôle, enlevé, empreint de culture populaire – Walt Disney, Blade Runner, Ted Bundy – et de citations sur les traités des poutres de charpentes et sur les manuels de survie face aux requins. Le roman est léger et grave, bâti en chapitres courts.

Mathilde Forget est aussi chanteuse. Dans un de ses clips, on la voit danser face à un loup. Sa narratrice attend le requin qui la dévorera. Les bêtes sauvages, et donc dangereuses, indomptables, symbolisent la possibilité de la folie. Ou la liberté de son étrange manière d’être au monde. A la demande d’un tiers est un premier roman au style vif, assez déconcertant sur le fond, assez séduisant sur la forme.


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Extrait :

« Dans toutes les fiches des tueurs en série il y a une rubrique enfance et elle commence toujours par l’histoire de la mère. La mère du tueur c’est important quand on cherche à comprendre le crime. J’ai essayé de rédiger ma rubrique enfance.
[…]
Souvent les tueurs en série commencent à appréhender leur non-empathie en maltraitant des animaux. Une fois, j’ai écrasé huit gendarmes – les insectes – en cinq secondes. Puis j’ai recommencé en essayant d’améliorer mon score. Suzanne m’a surprise, elle était bouleversée par toutes ces petites taches rouges et ovales alignées sur la terrasse du jardin. Je lui ai proposé qu’on les enterre. »