Mathilde Forget, A la demande d’un tiers,
éd. Grasset, 21 août 2019, 162 pages.
Lorsqu’un de ses
parents se suicide, quelque chose de mystérieux demeure, qui n’est pas
forcément la raison de l’acte. Deux premiers romans, en cette rentrée
littéraire, abordent ce thème. Celui d’Anne Bennet, intitulé Revoir Benny, aux éditions du Cerf, dont
je parlerai par ailleurs, et A la demande
d’un tiers, de Mathilde Forget, chez Grasset. Le père d’Anne Bennet s’est
donné la mort alors que sa fille était adolescente. Dans le roman de Mathilde
Forget, c’est la mère qui s’est jetée du haut de la tour d’un château où est
exposée une tapisserie de l’Apocalypse, alors que sa fille cadette était enfant.
Si les démarches des narratrices sont les mêmes – aller interroger la famille, et
les médecins – le traitement est radicalement différent.
Le sujet de A la demande d’un tiers, c’est bien la
folie. Comment sait-on que l’on est fou, ou folle ? La mère avait effectué
des séjours en hôpital psychiatrique, et la fille aînée, Suzanne, est elle
aussi internée, « à la demande d’un tiers » selon la formule
administrative, un tiers qui est sa sœur, la narratrice, donc. Il n’y a pas de
mystère à proprement parler dans ce roman, pas d’enquête à résoudre. La mère
était schizophrène, le traitement qu’elle prenait tend à le prouver, même si un
de ses médecins, interrogé par la fille, ne peut que déclarer « vous
savez, votre mère reste pour moi un mystère. »
Le sujet n’est pas
gai, on en conviendra. Tout est dans le ton. Mathilde Forget parvient à rendre
drôle, d’une drôlerie cocasse, sa peur de la folie. Est-elle atteinte ?
Est-elle normale ? Est-ce normal de détester Bambi, le petit faon qui a
perdu sa mère et dont l’unique larme envahit tout le museau ? Est-ce
normal de se rendre à l’école le jour de la mort de sa mère en costume de
cow-boy ? La folie de la mère, et celle de la sœur, sont un arrière-plan qui
permet à la narratrice de se regarder et de s’interroger sur son propre
comportement. C’est drôle, enlevé, empreint de culture populaire – Walt Disney,
Blade Runner, Ted Bundy – et de
citations sur les traités des poutres de charpentes et sur les manuels de
survie face aux requins. Le roman est léger et grave, bâti en chapitres courts.
Mathilde Forget
est aussi chanteuse. Dans un de ses clips, on la voit danser face à un loup. Sa
narratrice attend le requin qui la dévorera. Les bêtes sauvages, et donc dangereuses,
indomptables, symbolisent la possibilité de la folie. Ou la liberté de son
étrange manière d’être au monde. A la
demande d’un tiers est un premier roman au style vif, assez déconcertant
sur le fond, assez séduisant sur la forme.
*
Extrait :
« Dans toutes
les fiches des tueurs en série il y a une rubrique enfance et elle commence toujours par l’histoire de la mère. La
mère du tueur c’est important quand on cherche à comprendre le crime. J’ai
essayé de rédiger ma rubrique enfance.
[…]
Souvent les tueurs
en série commencent à appréhender leur non-empathie en maltraitant des animaux.
Une fois, j’ai écrasé huit gendarmes – les insectes – en cinq secondes. Puis j’ai
recommencé en essayant d’améliorer mon score. Suzanne m’a surprise, elle était
bouleversée par toutes ces petites taches rouges et ovales alignées sur la
terrasse du jardin. Je lui ai proposé qu’on les enterre. »