Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration
avec Virginie Neufville
Thomas Vinau, Le Camp des autres,
éd. Alma, 2017 et éd. 10/18, novembre 2018.
Au tout début du
siècle dernier, le petit Gaspard s’enfuit avec son chien. Il court loin de chez
lui. Il fuit. La forêt est un refuge paradoxal : âpre et redoutable, elle
est cependant préférable au foyer originel : « merde à la merde qui
lui servait de nid. » Le chien et l’enfant semblent comme des frères. Dans
Le Camp des autres, Thomas Vinau suit
son petit héros sur son parcours d’initiation. Il y aura, par exemple, un
initiateur du nom de Jean-le-blanc, sorcier accueillant, puis la caravane des
Bohémiens, avec son chef Capello.
La trame du Camp des autres est celle du roman
d’initiation, indéniablement. La forêt et la route sont la marque des exclus et
des rejetés, de tout temps. Symboles, aussi, de liberté à trouver, à conquérir
et à défendre. Le monde des franges, où pauvres et marginaux, tous êtres en
sursis, fuient la police et rejettent la société établie, inventant des
manières de vivre qui tiennent de la survie et de la revendication. Dans ce
monde-là, un enfant mal parti grandit, s’émerveille et apprend, se laisse
porter par le flux et réfléchit.
Le roman de Thomas
Vinau est construit en très courts chapitres comme autant de poèmes en prose. La
langue, somptueuse, rend justice aux gueux et aux malandrins – ces mots-là ne
sont pas les bons pour ce qui est de l’époque qu’explore le roman, mais
renvoient à une Cour des Miracles comme ressuscitée. La nature, la peur, les
saisons et les sentiments sont écrits – et non décrits – de façon magnifique,
explosive et pointue. Thomas Vinau, dont on connaît la précision et l’ampleur poétique,
manie ici un français que l’on ne lit nulle part ailleurs dans la production
littéraire ambiante. Qu’on en prenne pour preuve, au hasard, l’extrait
suivant :
« Ils ont
continué à parler à l’aplomb cru du soleil de mai. Ils ont continué à jongler
leurs méfiances, leurs silences, leurs regards, sans jamais être certains de
savoir s’ils jouaient finalement dans la même équipe ou l’un contre l’autre. Jean-le-blanc
a respecté leurs distances de sécurité le temps qu’il fallait pour que l’enfant
se rende compte qu’ils étaient déjà ensemble à parler la même langue. »
Tout est de la même
eau : rigoureux, flamboyant, précis. Le
Camp des autres est un roman qui frappe autant par son sujet que par son
écriture. Pour moi, c’est un vrai coup de cœur.