vendredi 30 novembre 2018

Regards croisés (34) – Le Camp des autres de Thomas Vinau


Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration avec Virginie Neufville


Thomas Vinau, Le Camp des autres, éd. Alma, 2017 et éd. 10/18, novembre 2018.

Au tout début du siècle dernier, le petit Gaspard s’enfuit avec son chien. Il court loin de chez lui. Il fuit. La forêt est un refuge paradoxal : âpre et redoutable, elle est cependant préférable au foyer originel : « merde à la merde qui lui servait de nid. » Le chien et l’enfant semblent comme des frères. Dans Le Camp des autres, Thomas Vinau suit son petit héros sur son parcours d’initiation. Il y aura, par exemple, un initiateur du nom de Jean-le-blanc, sorcier accueillant, puis la caravane des Bohémiens, avec son chef Capello.

La trame du Camp des autres est celle du roman d’initiation, indéniablement. La forêt et la route sont la marque des exclus et des rejetés, de tout temps. Symboles, aussi, de liberté à trouver, à conquérir et à défendre. Le monde des franges, où pauvres et marginaux, tous êtres en sursis, fuient la police et rejettent la société établie, inventant des manières de vivre qui tiennent de la survie et de la revendication. Dans ce monde-là, un enfant mal parti grandit, s’émerveille et apprend, se laisse porter par le flux et réfléchit.

Le roman de Thomas Vinau est construit en très courts chapitres comme autant de poèmes en prose. La langue, somptueuse, rend justice aux gueux et aux malandrins – ces mots-là ne sont pas les bons pour ce qui est de l’époque qu’explore le roman, mais renvoient à une Cour des Miracles comme ressuscitée. La nature, la peur, les saisons et les sentiments sont écrits – et non décrits – de façon magnifique, explosive et pointue. Thomas Vinau, dont on connaît la précision et l’ampleur poétique, manie ici un français que l’on ne lit nulle part ailleurs dans la production littéraire ambiante. Qu’on en prenne pour preuve, au hasard, l’extrait suivant :

« Ils ont continué à parler à l’aplomb cru du soleil de mai. Ils ont continué à jongler leurs méfiances, leurs silences, leurs regards, sans jamais être certains de savoir s’ils jouaient finalement dans la même équipe ou l’un contre l’autre. Jean-le-blanc a respecté leurs distances de sécurité le temps qu’il fallait pour que l’enfant se rende compte qu’ils étaient déjà ensemble à parler la même langue. »

Tout est de la même eau : rigoureux, flamboyant, précis. Le Camp des autres est un roman qui frappe autant par son sujet que par son écriture. Pour moi, c’est un vrai coup de cœur.