lundi 10 septembre 2018

La Vraie Vie d'Adeline Dieudonné


Adeline Dieudonné, La Vraie Vie, éd. L’iconoclaste, août 2018.

La petite fille qui aimait Tom Gordon au pays

des hommes qui n’aimaient pas les femmes




La Vraie Vie est un premier roman dont tout le monde parle en cette rentrée littéraire 2018, et qui figure sur les premières sélections du Renaudot et du Goncourt. La presse est unanime, la blogosphère aussi. Allons voir de plus près.

Une fillette et son petit frère vivent entre une mère terrifiée et un père violent. Le pavillon qu’ils habitent est le repaire de l’ogre et du chasseur à la fois. Le pavillon se situe dans un lotissement nommé Le Démo, mot dans lequel on entend « démon » et l’on suppose « démonstration ». La mère est régulièrement battue par son époux, elle ne retrouve un  sourire que  lorsqu’elle s’occupe de ses chèvres auxquelles elle a donné des noms d’épices, Muscade, Cumin… Le père ne s’intéresse qu’à la chasse, et plus encore, aux trophées. Une pièce de la maison leur est consacrée, sorte de musée macabre où le petit frère, bientôt, aime à se retrouver. Parce que le petit frère, tout mignon et tout rieur, subit un traumatisme terrible devant le camion du marchand de glace. Sa sœur aussi, qui est à ses côtés au moment du drame, et qui pense qu’elle est responsable de ce drame. On laisse au lecteur le soin de lire ce qu’il se passe devant le glacier, mais on signale en passant que dans le roman Helena de Jérémy Fel, dont on parle beaucoup aussi en cette rentrée, quelque chose se passe, également, devant le camion d’un marchand de glace. Comme si nous tenions là le symbole de l’enfance à qui il va arriver malheur. C’est un ressort que Stephen King sait exploiter avec génie : l’inversion des symboles, le marchand de glace qui devient traumatique, le clown tueur d’enfants, etc. La fillette d’Adeline Dieudonné, persuadée de sa culpabilité, veut tout faire pour que rien ne soit arrivé.

Il y a, dans les débuts de ce roman, une trouvaille formidable : la petite fille veut fabriquer une machine à remonter le temps pour que rien ne se soit passé devant le camion du glacier. A partir de sa connaissance absolue du film Retour vers le futur, elle bricole une voiture et un four à micro-ondes, demande à une voisine excentrique, qu’elle prend pour une sorcière, de faire venir l’orage et la foudre… Lorsqu’elle comprend que voyager dans le temps est un peu plus compliqué que cela – compliqué, mais pas impossible – elle se jette à corps perdu dans les études, brille en physique, reçoit les cours d’une sommité en la matière, et…

Et rien, au fond. L’histoire bifurque. Le petit frère suit une pente inquiétante de psychopathe, la mère continue de se faire tabasser, la fillette devient la proie d’un jeu qui ressemble à The Most Dangerous Game (Les Chasses du comte Zaroff). On a tous en tête des petites filles à la volonté farouche qui, par entêtement et traumatisme d’enfance, font tout pour que les choses rentrent dans un ordre plus harmonieux et moins douloureux. Pour ne citer qu’un seul exemple : la petite Murphy, dans Interstellar, qui partage avec la fillette de La Vraie Vie le goût de la physique quantique et l’enseignement d’un « maître ». Mais chez Adeline Dieudonné, la quête n’aboutit pas. C’est, peut-être, que le propos est ailleurs, plus réaliste malgré la tonalité de conte du roman. Dans La Vraie Vie, les femmes sont les victimes annoncées de mâles abrutis, en limite de caricature.
  
Adeline Dieudonné a un ton, c’est indéniable. La narration est empreinte d’humour et de sensibilité, les premiers tourments sensuels de la fillette grandie sont rendus avec une douceur et une intensité assez rares. Le roman se lit d’une traite, le lecteur est happé par la personnalité d’une petite héroïne qui jamais ne baisse les bras, tremble de peur mais avance, obstinée. C’est La petite fille qui aimait Tom Gordon au pays des hommes qui n’aimaient pas les femmes. La référence à Stephen King, encore lui, est immédiate : la fillette de La Vraie Vie est elle aussi fascinée par un sportif, un champion. Mes étudiantes vont adorer ce roman. Mais, tout de même, on est loin, pour l’acidité du conte, d’Amélie Nothomb, et pour l’ampleur imaginative, du roi King… Le Goncourt ? Le Renaudot ? Allons…