Eric Poindron, L’Etrange questionnaire, éd. les Venterniers, novembre 2016, 108 pages.
Un questionnaire n’est pas un test. Qui dit « test » pense « connaissances » et « évaluation ». Et qui dit questionnaire pense immédiatement « Proust ». Eric Poindron, maître ès-étrangeté, ami des fantômes et spécialiste des livres imaginaires, ne pose pas tout à fait ses pas dans les pas de Marcel. Si le questionnaire de Poindron est étrange, c’est avant tout par le dispositif qu’il impose : soixante questions, une minute par réponse, et donc une heure à consacrer pour dessiner une manière d’autoportrait.
L’étrangeté de cet étrange questionnaire repose aussi, bien entendu, sur la surprise provoquée par les questions. Qui ne sont pas toujours des questions, qui sont parfois des injonctions amicales – et diablement intimes. Par exemple : « Vous êtes au confessionnal ; alors confessez-moi l’innommable ». Cette question n°20 est précédée de dix-neuf autres – et suivie de quarante – qui, toutes, nous poussent dans des retranchements qui ont peu à voir avec le trivial et tout à dénicher dans la psyché, l’imaginaire et la capacité de s’émerveiller. « Quelle étrange collection aimeriez-vous imaginer ? » (on laisse au lecteur la découverte de la suite de la question 54…) ; « Qu’est-ce qu’un poète et qu’attendez-vous de la poésie ? » (question 48). N’oubliez pas : vous n’avez qu’une minute pour répondre ! Et en une minute, vous avez toutes les chances de dire une belle part de vérité.
L’ouvrage, sous une couverture impeccable en noir et blanc, rugueuse au toucher et douce à l’invite, est formidablement paginé : sous l’en-tête de chaque question, une belle plage de couleur crème où pencher ses réponses immédiates, avec parfois une note de bas de page qui incite à rêver plus avant. Dans son avant-propos, Eric Poindron nous livre un souvenir d’enfance : sa grand-mère l’avait surnommé « Monsieur Pourquoi ». Tous les enfants posent des questions. Poindron, lui, va soulever d’autres interrogations, moins terre-à-terre, plus surprenantes, du genre : « Qui vous regarde dans les yeux lorsque vous les fermez ? » Ah ben oui, tiens, au fait… Qui ? En fin d’ouvrage, on trouvera un texte éclairant d’Edward Gauvin, écrivain et traducteur américain, grand connaisseur de nos littératures de l’étrange. Gauvin, dans son article, souligne la difficulté d’une définition de l’ « étrange » : est-ce l’insolite ? Le bizarre ? La question se pose pour le locuteur français. Elle se pose aussi, et en d’autres termes, pour le traducteur. Cet étrange questionnaire, qui nous pousse dans nos étranges retranchements, pose également des questions lexicales et mentales.
Eric Poindron est aussi l’agitateur d’un cabinet de curiosités numérique. C’est sur la toile qu’il prolonge sa manie collectionneuse de déchiffreur et défricheur du fantastique – ou du gothique, ou de l’horrifique, dans tous les cas du poétique.
Voilà un livre à offrir, comme un cadeau intime. Un livre que l’on doit prolonger, une sorte de carnet partageable lorsqu’il est encore vierge, mais à garder au secret quand on y aura couché ses réponses… car on s’y sera dévoilé presque entièrement. A moins que l’on n’aime, comme Eric Poindron, faire visiter son cabinet de curiosités – ici, en l’occurrence son cabinet de curiosités mentales.
*
Je livre en aparté, et en clin d’œil, ma réponse à l’étrange question n°57 « Ecrivez la dernière phrase d’un roman ou d’un livre étrange à venir (mais ne comptez pas forcément sur nous pour l’éditer). »
Ma réponse, donc : « Il leva enfin les yeux au ciel et n’y vit que le reflet d’un gouffre. »