Christopher Priest, Futur intérieur (A dream of Wessex), 1977, Folio SF
n°226, 334 pages.
La science-fiction me
laisse froide – euphémisme. C’est un handicap, j’en ai conscience, étant donné
que mon travail de lectrice et de critique est centré sur l’imaginaire. Je suis
venue à Christopher Priest grâce à un film – impeccable – de Christopher Nolan,
Le Prestige. Mais impossible de
trouver en librairie, dans ma ville, pourtant la deuxième ou troisième des
villes de France, le roman Le Prestige
de Priest, dont le film est une adaptation. Curieuse, cependant, j’achète chez
le Gibert local ce Futur intérieur du
même auteur, dont la couverture me semble inspirée de Métropolis. Enfin, disons, un petit air mi-années 20 mi-pop art
passé à la moulinette de l’infographie.
Julia Strenton, géologue de formation, a
intégré l’équipe des 39 scientifiques qui participent au projet Wessex. Il
s’agit, pour les membres de l’équipe, de se glisser à l’intérieur des tiroirs
froids et métalliques d’une « morgue » et de laisser leur vie de fin
XXe siècle en suspens pour imaginer le futur, à 150 années de là. Les scientifiques
« projettent » (c’est le terme employé, l’expérience est basée sur la
« projection ») leur inconscient, et créent, sur les lieux mêmes de
leur sommeil, une espèce de paradis anticipé. Le monde est, selon eux, au XXIIe
siècle, divisé en deux parties strictement différenciées : un monde
communiste, soviétique – disons, pour faire court, la partie est du globe – et
un monde englobant les USA et quelques autres pays, où dominent à la fois
l’Islam et un capitalisme bon teint. Rappelons-le : le roman a été écrit
en 1977, le mur de Berlin n’était pas tombé, on était encore plus ou moins dans
la guerre froide. Le basculement dans l’Islam des USA n’est, dans le roman,
qu’une incidente dans la primauté de l’énergie. La religion, ici, c’est le
pétrole, et rien de plus.
Julia Strenton a vécu avec
Paul Mason, un sale type du genre pervers narcissique – mais là encore, en
1977, le terme n’avait pas la résonance qu’il a aujourd’hui. Paul s’est
ingénié, durant les deux ans qu’a duré leur relation, à rabaisser Julia, et à
lui prouver par A+B qu’elle n’était rien, qu’elle n’avait aucune valeur. Julia
l’a quitté, a intégré le projet Wessex, et a trouvé, dans la
« projection » de son inconscient, une sorte de stabilité et de
sérénité. Mais… Paul Mason réapparaît dans sa vie, et prend la tête du projet
Wessex. La projection de l’inconscient du pervers narcissique va mettre à bas
toute l’édification du futur projeté par les 39 – enfin, 38, si l’on excepte
Paul Mason – scientifiques du projet Wessex.
On le sait, pour qu’il y
ait science-fiction, il faut une machine. Sinon, on est dans le domaine du
fantastique. La machine qu’imagine Christopher Priest a des allures de morgue,
et permet d’imaginer le paradis : les 38 scientifiques ont
« bâti » une île, qui s’est détachée de l’Empire britannique suite à
un tremblement de terre, et qui ressemble à un lieu de villégiature
merveilleuse, quand le reste du monde est soumis à la pollution et à
l’industrialisation. L’irruption de l’inconscient de Paul Mason va détruire ce
paradis. Lui, il ne pense qu’à reprendre l’ascendant sur Julia, tandis que les
autres cherchent à comprendre comment le XXe siècle a pu conduire à
l’autodestruction.
C’est là, du moins, ce que
j’ai compris du roman de Christopher Priest. Les passages d’une époque à l’autre
– du XXe au XXIIe siècle – sont clairement délimités, et le lecteur n’est pas
perdu dans la narration. La plus belle invention du roman, celle qui procure le
plus d’émotion, est sans doute le mascaret, cette vague annoncée à coup de
canon deux fois par jour, qui vide les plages et fait accourir les surfeurs.
Pour le reste, il m’a semblé que l’on restait sur l’écume d’une relation
amoureuse délétère, et sur la crête d’une SF soft. Mais, je le répète, la
science-fiction me laisse froide.
J’attends donc que le
libraire internet à qui j’ai passé commande fasse atterrir dans ma boîte aux
lettres Le Prestige du même
Christopher Priest. Et je reviens vous en parler.