dimanche 10 août 2014

Surprise 7 – Futur intérieur de Christopher Priest



Christopher Priest, Futur intérieur (A dream of Wessex), 1977, Folio SF n°226, 334 pages.

La science-fiction me laisse froide – euphémisme. C’est un handicap, j’en ai conscience, étant donné que mon travail de lectrice et de critique est centré sur l’imaginaire. Je suis venue à Christopher Priest grâce à un film – impeccable – de Christopher Nolan, Le Prestige. Mais impossible de trouver en librairie, dans ma ville, pourtant la deuxième ou troisième des villes de France, le roman Le Prestige de Priest, dont le film est une adaptation. Curieuse, cependant, j’achète chez le Gibert local ce Futur intérieur du même auteur, dont la couverture me semble inspirée de Métropolis. Enfin, disons, un petit air mi-années 20 mi-pop art passé à la moulinette de l’infographie.
  
 Julia Strenton, géologue de formation, a intégré l’équipe des 39 scientifiques qui participent au projet Wessex. Il s’agit, pour les membres de l’équipe, de se glisser à l’intérieur des tiroirs froids et métalliques d’une « morgue » et de laisser leur vie de fin XXe siècle en suspens pour imaginer le futur, à 150 années de là. Les scientifiques « projettent » (c’est le terme employé, l’expérience est basée sur la « projection ») leur inconscient, et créent, sur les lieux mêmes de leur sommeil, une espèce de paradis anticipé. Le monde est, selon eux, au XXIIe siècle, divisé en deux parties strictement différenciées : un monde communiste, soviétique – disons, pour faire court, la partie est du globe – et un monde englobant les USA et quelques autres pays, où dominent à la fois l’Islam et un capitalisme bon teint. Rappelons-le : le roman a été écrit en 1977, le mur de Berlin n’était pas tombé, on était encore plus ou moins dans la guerre froide. Le basculement dans l’Islam des USA n’est, dans le roman, qu’une incidente dans la primauté de l’énergie. La religion, ici, c’est le pétrole, et rien de plus.

Julia Strenton a vécu avec Paul Mason, un sale type du genre pervers narcissique – mais là encore, en 1977, le terme n’avait pas la résonance qu’il a aujourd’hui. Paul s’est ingénié, durant les deux ans qu’a duré leur relation, à rabaisser Julia, et à lui prouver par A+B qu’elle n’était rien, qu’elle n’avait aucune valeur. Julia l’a quitté, a intégré le projet Wessex, et a trouvé, dans la « projection » de son inconscient, une sorte de stabilité et de sérénité. Mais… Paul Mason réapparaît dans sa vie, et prend la tête du projet Wessex. La projection de l’inconscient du pervers narcissique va mettre à bas toute l’édification du futur projeté par les 39 – enfin, 38, si l’on excepte Paul Mason – scientifiques du projet Wessex.

On le sait, pour qu’il y ait science-fiction, il faut une machine. Sinon, on est dans le domaine du fantastique. La machine qu’imagine Christopher Priest a des allures de morgue, et permet d’imaginer le paradis : les 38 scientifiques ont « bâti » une île, qui s’est détachée de l’Empire britannique suite à un tremblement de terre, et qui ressemble à un lieu de villégiature merveilleuse, quand le reste du monde est soumis à la pollution et à l’industrialisation. L’irruption de l’inconscient de Paul Mason va détruire ce paradis. Lui, il ne pense qu’à reprendre l’ascendant sur Julia, tandis que les autres cherchent à comprendre comment le XXe siècle a pu conduire à l’autodestruction.

C’est là, du moins, ce que j’ai compris du roman de Christopher Priest. Les passages d’une époque à l’autre – du XXe au XXIIe siècle – sont clairement délimités, et le lecteur n’est pas perdu dans la narration. La plus belle invention du roman, celle qui procure le plus d’émotion, est sans doute le mascaret, cette vague annoncée à coup de canon deux fois par jour, qui vide les plages et fait accourir les surfeurs. Pour le reste, il m’a semblé que l’on restait sur l’écume d’une relation amoureuse délétère, et sur la crête d’une SF soft. Mais, je le répète, la science-fiction me laisse froide.

J’attends donc que le libraire internet à qui j’ai passé commande fasse atterrir dans ma boîte aux lettres Le Prestige du même Christopher Priest. Et je reviens vous en parler.