jeudi 29 septembre 2022

La Revanche des autrices de Julien Marsay

Julien Marsay, La Revanche des autrices, Enquête sur l’invisibilisation des femmes en littérature, éd. Payot, septembre 2022, 272 p.


Pour commencer, le mot « autrice », qui est celui que j’emploie depuis quelques années pour désigner les femmes écrivains. Je dis « écrivains » car il paraît que dans « écrivaines » on entend « vaines », alors que personne n’a jamais fait remarquer que dans « écrivains » on entendait « vains »… Mais passons. Autrice, donc. Ce qui renvoie, en français, à acteur/actrice, facteur/factrice, par exemple. Comme je suis hispaniste, cela me pose quand même un petit problème, vu qu’en espagnol, on dit actor/actriz, alors qu’on dit autor/autora. Mais passons encore. Je signale toutefois que les Espagnols, machistes entre tous paraît-il, ont toujours fait la distinction entre autor et autora, poeta et poetisa, doctor et doctora, etc. Bref. J’ai choisi de dire et d’écrire « autrice ». 

Julien Marsay nous présente, en deux parties bien distinctes – « La Guerre froide contre les autrices » et « L’éventail de l’invisibilisation » – un panorama terrifiant du sort que l’on a réservé aux autrices dans l’histoire de la littérature. On les a gommées, ni plus ni moins. Comme on a gommé les musiciennes et les peintresses. Dans une sorte de catalogue ordonné de femmes dont nous n’avons, la plupart du temps, jamais entendu parlé, et dont nous n’avons donc jamais lu une seule ligne, il nous donne à découvrir un continent inconnu, occulté. Nous connaissons Louise Labbé, Madame de Staël, Simone de Beauvoir. Plus nous avançons dans l’histoire des Lettres, et plus nous connaissons de noms d’autrices. Mais jusqu’au XIXe siècle, le défrichage est à faire. Julien Marsay le fait.

Les stratégies opérées par les femmes pour de désinvisibiliser sont souvent basées sur la masculinisation des pseudonymes – George Sand, Daniel Stern…, ou George Eliot en Angleterre et Fernán Caballero en Espagne. Ou passent par des astuces consistant à prendre des pseudonymes non genrés (comme on ne disait pas encore à l’époque) comme Delly ou Gyp. Ces deux noms-là, je les connaissais, c’était les lectures d’une de mes grands-mères, mais je ne suis pas sûre qu’elle ait su que les livres qu’elle lisait avaient été écrits par des femmes. 

L’essai de Julien Marsay nous renvoie, nous lectrices, à nos lectures et à nos expériences personnelles, scolaires, ou universitaires. Je n’ai pu lire cet essai sans réfléchir à ce que l’on m’avait appris, ce que l’on ne m’avait pas dit, et ce que des écrivains m’avaient fait découvrir. J’ai beau chercher dans ma mémoire, je n’ai pas souvenir que l’on m’ait fait étudier durant mes études secondaires, ou même en khâgne ou à l’université, une œuvre complète écrite par une femme. Je ne parle même pas du programme de l’agrégation… Heureusement que j’ai toujours lu en dehors des programmes ! Mais tout cela remonte à loin, j’imagine que les choses ont changé. Je veux absolument citer ici le nom de Jean Claude Bologne, qui, dans ses livres, a su mettre en lumière l’importance culturelle des béguines, ou le rôle de Julia Daudet dans l’œuvre de son époux Alphonse. J’ai beaucoup appris de lui. La lecture de Julien Marsay m’a renvoyée aussi à une anecdote personnelle. Elle date d’une dizaine d’années. J’étais en Bourgogne, chez Michel Host. Nous discutions, dans le jardin, de l’idée d’inspiration. J’ai dit « mon homme, c’est ma muse. » Host a levé le sourcil, et je me suis rendu compte alors qu’il n’y avait pas de masculin pour « muse ». Host a lancé « muson ? » Nous n’avons, ni l’un ni l’autre, aimé ce mot-là. Nous avons tourné autour du mot « inspirateur », sans en être satisfaits. Et nous n’avons pas résolu le problème. Julien Marsay écrit, dans un paragraphe intitulé « La muse, figure d’un déséquilibre originel » :

« Ainsi, dès les origines, il y a déséquilibre structurel dans les codes des représentations, on ne donne pas à voir le masculin en figure de beauté inspirante, réduit en objet passif, disons-le, de contemplation et de fantasmes. Le poète est sujet quand la muse, elle, n’est qu’objet. » 

Soyons clairs, claires : en aucun cas je ne considère mon compagnon comme un objet, bien entendu. Mais l’idée de ne pas avoir trouvé de masculin à « muse » me taraude encore.

La Revanche des autrices est un essai intéressant à plus d’un titre. Il s’inscrit dans une veine éditoriale de découverte d’un continent occulté, celui de l’écriture féminine. Mais il permet aussi, par une sorte d’effet miroir, notamment par le recours au sondage, de se placer face à sa propre expérience. Que nous a-t-on dit, enseigné, suggéré, à propos des autrices ? Pas grand-chose. Si les XXe et XXIe siècles, du point de vue éditorial, ont remis certaines pendules à l’heure, il nous reste à remonter le temps pour redécouvrir et réhabiliter tout un pan de l’histoire littéraire. 

*

NB : Je retiens deux expressions fortes de cet ouvrage :

« Epousautrices », groupe dont font partie, entre autres, ma chère Julia Daudet, et Colette, bien entendu.

 « Couper la plume », qui renvoie, plus haut et plus fort, par l’emploi du singulier, à « couper les ailes ».