vendredi 18 février 2022

Le Contrat d’Ella Balaert

 Ella Balaert, Le Contrat, éd. des Femmes – Antoinette Fouque, 3 février 2022, 400 p.


Voilà un roman placé sous le signe de la Lune. Un roman qui parle du sort des femmes – des mères et des filles. Un roman qui saute directement du débarquement en Normandie au confinement de mars 2020, et qui remonte le temps à sa manière. Un roman aux fictions enchâssées. Et, surtout, me semble-t-il, un roman qui parle du geste d’écrire, de sa nécessité ou son inanité.

Tout commence par un décalque de pacte faustien : parce qu’il est l’exécuteur testamentaire de son meilleur ami, écrivain à succès, disparu dans un accident de voiture, un dandy inactif fonde une maison d’édition consacrée aux derniers textes d’auteurs. On connaît le marché éditorial des premiers romans, pourquoi ne pas créer celui des dernières œuvres ? Et pourquoi ne pas proposer à une femme ayant publié dans sa jeunesse, mais désormais prof d’allemand dépressive, de signer un contrat qui l’engagerait pour un dernier ouvrage, mais vraiment le dernier, interdiction ensuite de publier quoi que ce soit ? Le dandy fondateur des éditions Thanatographes va même jusqu’à rebaptiser sa proie Faustine. 

Parallèlement à cela, nous faisons la connaissance de Marie-Madeleine, dite Mado, et de sa petite-fille Gwenaëlle. Mado est la véritable héroïne de ce roman foisonnant, construit comme un vortex labyrinthique. Plus on avance dans la lecture, plus on s’enfonce dans la fiction, et plus on découvre de couloirs qui bifurquent. Mado, vieille dame impotente, est une fana d’opérette. Son voisin du dessus, cinquantenaire, youtubeur le matin et agent de maintenance l’après-midi, entend dans l’enfilade de chambres de bonnes qui abrite son studio d’enregistrement tout le répertoire d’Offenbach. Avec les deux acteurs de son show sur internet – une femme et un homme –nous voilà face à un trio, ou plutôt un triangle amoureux, où l’actrice a deux amants et ne suscite de jalousie que d’un côté.

Le roman est construit sur le chiffre 3 : l’histoire de l’éditeur et de son autrice, l’histoire de Mado, l’histoire du youtubeur et de ses acteurs, le tout en trois parties distinctement identifiées – « Le chant du cygne », « Le couplet du canard », « Le silence du phénix ». Six intertitres (deux fois trois), tous nommés « parenthèse » parachèvent une construction rigoureuse et malicieuse : les trois parenthèses de la première partie sont consacrées à Mado, les trois parenthèses de la deuxième partie sont consacrées à l’éditeur et à sa Faustine. Il n’y a pas de parenthèse dans la troisième partie. Cette structure en miroir est le sujet même du roman : dans les parenthèses de la première partie, on est dans le désir d’écrire, ou de se remettre à écrire ; dans les parenthèses de la deuxième partie, on est dans l’écriture de l’histoire d’une femme qui ne peut plus écrire. Bon, ça a l’air un peu compliqué tel que je l’explique ici, mais si j’en dis plus, je divulgâche tout… Je le répète : c’est bien Mado, la vieille dame impotente, qui est au cœur de tout. Et Ella Balaert, aux commandes d’un roman dont le sujet est à la fois la fiction, et le destin des mères et de leurs enfants – de mères qui cherchent leur fille, et de filles qui cherchent leur mère. 

Sous la tutelle de la lune, et sur fond de retournement narratif, Le Contrat offre tout un éventail d’émotions : amour, humour, tendresse, surprise, espoir…