dimanche 1 août 2021

Ô saisons de Denise Le Dantec

Denise Le Dantec, Ô saisons, éd. des instants, juin 2021, 148 p.




On entre dans ce recueil de poèmes sur la pointe des pieds, avec un peu de peur et beaucoup d’attente. On prend tout d’abord le livre en main, le beau papier attire, et la belle mise en page. On fait défiler les feuillets sous le pouce, comme pour un flip book, il y a des italiques, des listes, des versets séparés par de petites étoiles – oui, on dit des astérisques, je sais, mais les étoiles… –, des blancs pour aérer, et un « je » très présent, qui saute aux yeux. Et puis on franchit, pour de bon, le seuil des textes. 

Deux précisions, de prime abord : je ne connais pas Denise Le Dantec – elle est pour moi un nom, je sais qu’elle est connue, mais je ne l’ai jamais lue – ; il se trouve que depuis quelques années je travaille sur la poésie de Sylvestre Clancier, et je peux mesurer la difficulté, pour l’essayiste, de donner à voir et à comprendre ce qui est vu et ne doit pas être expliqué. La poésie, c’est magique. Ça relève de la magie. Je ne parle pas des poèmes dénotatifs qui ont la cote en ce moment, mais du souffle poétique, allusif, aérien. La poésie, c’est du vent et de la pierre. Solide comme le roc et légère comme un murmure.

Denise Le Dantec, dans Ô saisons, parle de la poésie en elle-même, et du poème en train de se faire, ou de se chercher. Elle se positionne à la fois en tant que truchement, observatrice et artisane :

« Quelque chose brillant sur les couronne vertes du laurier

–  une goutte de rosée.

C’est moi.

C’est toi.

Le duvet des chardons s’envole.

Ô vous, les mots ! »

Ou encore :

« – Le poème doit-il être une danse ?

Hier soir, un cerf est entré dans la cour attiré par les lèvres des lis

Les abricots rougissaient

J’ai coupé des mots et des lettres

J’ai fait des coupures où poussent des maisons

et des pattes d’oiseau »

Artisane, ou bâtisseuse. Cette poésie-là, de l’ordre du regard et de la tentative de déchiffrement de la sensation, est basée sur une culture partagée, utilisée comme un motif de connivence avec le lecteur. Par exemple : « Vous voici en terrasse dans le bruit quantique de la lumière / Les écoliers somnambules de Zéro de conduite défilent. » 

Dans ce recueil, la sensation pure et la recherche pour y accéder s’entremêlent indéfectiblement : 

« Les saisons tournent

L’été sonne et devient bleu

La rosée brille entre les arches

Comment distinguer les voyelles clarifiées des ponts à travers la brume ?

Les rues avec lesquelles je partage des verbes et des adjectifs ? »

Le titre du recueil, bien entendu, renvoie à Rimbaud, mais la voix que l’on entend dans Ô saisons est parfaitement singulière et personnelle. Un recueil placé sous le signe de la lumière, dans tous les sens du terme. Lumineux, et éclairant : 

« pluie seuil pluie

pluie seuil pluie

Il faut le vent. La lumière mercure – quelque chose avec des oiseaux. »

Saluons les toutes nouvelles éditions des instants pour avoir inscrit dans leur catalogue ce recueil d’une sensualité immédiate et d’une recherche poétique étincelante.