Paula Becker était une
femme peintre. Elle est née en 1876, est morte en couches en 1907, alors que
Picasso invente le cubisme. Cette Allemande amoureuse de Paris et de son
effervescence au début du XXe siècle, enthousiasmée par Gauguin et Cézanne, a
épousé, par amour mais pas que, Otto Modersohn, un peintre paysagiste académique,
qui refusait l’impressionnisme quand son épouse en était déjà aux avant-gardes.
En France, nous connaissons peu cette peinture allemande, pour ne pas dire pas
du tout. La peinture de l’époux est passée de mode, et cette mode ne repassera
pas, sans doute. Celle de l’épouse est plus intéressante, par sa modernité et
son audace. Elle n’émeut pas pour autant – c’est, du moins, mon sentiment.
Marie Darrieussecq s’empare
de la vie de Paula. La peintre meurt à 31 ans, en couches. Elle qui s’était
depuis toujours ou presque interrogée, dans sa peinture, sur le corps des
femmes, la maternité et l’allaitement, elle qui n’était pas sûre de vouloir des
enfants… Darrieussecq s’empare, donc, de la vie de Paula, scrute sa
correspondance, son journal, en donne de larges extraits, dans le désordre. En
parallèle, l’écrivain travaille sur une nouvelle traduction de A room of one’s own, le livre de
Virginia Woolf, qu’elle intitule Un lieu
à soi, comme pour faire sortir la femme de l’enclos de la
« chambre ». Virginia et Paula ont cette démarche commune, peut-être,
d’interroger non pas la place des femmes, mais le regard que l’on porte sur
elles. La façon dont on les envisage.
Dans les tableaux de Paula, les femmes sont sujets et non objets : de la
petite fille à la vieille femme, en passant par la mère allaitante, la peintre se
soucie autant de sa manière que de
son modèle.
La peinture de Paula
occupe, au fond, peu de place dans la biographie de Darrieussecq. C’est la
femme libre que l’écrivain nous fait découvrir. Libre, entendons-nous. Libre dans
sa peinture, à n’en pas douter. Libre intellectuellement, peut-être, et encore.
Paula a du mal, tout de même, à laisser tomber le corset – Marie Darrieussecq
cite un passage étonnant de sa correspondance à ce sujet – et accepte de suivre
des cours de cuisine avant de convoler, parce qu’une bonne épouse doit savoir
contenter son mari aussi devant les fourneaux. Elle choisit de se fiancer, et
de se marier. Pourtant, elle « flirte » avec Rilke, lui cache ses
fiançailles. Le poète épousera la meilleure amie de Paula, une sculptrice élève
de Rodin. Par dépit ? Par défi ? Contre Paula et contre Lou ?
Les jeux amoureux sonnent comme des enjeux. Et Paula sort perdante, épouse
heureuse mais sans plus, mère morte en accouchant.
Être ici est une splendeur
– titre emprunté à un vers de Rilke – est une biographie, bien sûr. Qui permet
la découverte d’un peintre et d’une femme. Mais Paula M. Becker est aussi un personnage-jalon
dans l’œuvre littéraire de Marie Darrieussecq. Cet auteur ne cesse d’interroger
la féminité, le désir, la maternité, la liberté et l’attachement. Romans,
autobiographie transposée, traductions, biographies… tout cela forme un tout
d’une grande cohérence, et d’un grand intérêt. Alors, bien sûr, ici, nous
découvrons la vie de Paula, femme peintre. Mais nous sommes aussi – et surtout
– dans une escale du parcours d’une femme écrivain.
*
Couverture du catalogue