Lars Saabye Christensen, Obsèques, Bisettelsen, traduit du norvégien par
Jean-Baptiste Coursaud, éd. Jean-Claude Lattès, 2003 et éd. 10/18, novembre 2015.
Le roman s’ouvre sur une
citation de Lennon et Mc Cartney, les chapitres portent des titres des Beatles
– l’auteur a d’ailleurs publié un roman intitulé Beatles – et l’on croise les membres d’un groupe, les Dirty
Fingers. Obsèques reprend les
personnages de romans précédents, mais même lu indépendamment, il garde une
force considérable.
Kim Karlsen meurt à
cinquante ans. Il est mort, mais il se réveille, sans aucune mémoire. Le décor
dans lequel il évolue est celui d’un hôtel, banal et vide. Les premières pages
d’Obsèques plongent le lecteur dans
un monde à la fois flottant et réaliste. L’irréalité du monde après la mort est
contrebalancée par les objets du quotidien que Kim Karlsen découvre dans ses
poches : un peigne, un agenda, la clé de sa chambre d’hôtel. Mais Kim ne
se souvient de rien, il va arpenter les couloirs, puis les rues, en quête de
souvenirs, ou de réminiscences. Le film La
Mélodie du bonheur est un indice récurrent, ainsi que les affiches du
groupe les Dirty Fingers. Une conversation qu’il a avec un coiffeur le renvoie
de sa mort à celle des membres du groupe.
« Le deuil n’a pas
d’effet rétroactif ». Cette phrase donne le ton de l’étrange roman de Lars
Saabye Christensen. L’amnésie de Kim anticipe-t-elle sur le souvenir qu’il
laissera parmi ses amis et ses proches ? Combien de temps les morts
survivent-ils dans les mémoires ? Après l’évocation de l’après-mort de
Kim, on en vient aux réactions de ses amis et proches. Le lecteur renoue alors
avec un réalisme plus sentimental, très justement dépeint. A l’amnésie
post-mortem de Kim répondent des scènes du passé. Parfois, les détails sont les
mêmes dans l’un et l’autre monde. La stupeur de la perte. La stupeur d’être mort.
La construction du roman, de l’après-mort du « héros » aux épisodes
du passé, met en perspective une vie entière, reconstituée, prismatique. Les
relations avec les parents, ce que l’on projette et ce que l’on réalise,
l’ancrage dans une réalité sociale et politique, l’envie de déployer ses ailes,
ce que l’on a fait de sa jeunesse, ce qu’il en reste à l’âge mûr…
Voilà un roman étonnant, qui
explore les sentiments et le fantastique, qui regarde l’humain dans ses
faiblesses, ses peurs, sa grandeur et son courage. Obsèques est une des facettes de la littérature nordique
contemporaine. A explorer.