lundi 28 décembre 2015

Obsèques de Lars Saabye Christensen



Lars Saabye Christensen, Obsèques, Bisettelsen, traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, éd. Jean-Claude Lattès, 2003 et éd. 10/18, novembre 2015.

Le roman s’ouvre sur une citation de Lennon et Mc Cartney, les chapitres portent des titres des Beatles – l’auteur a d’ailleurs publié un roman intitulé Beatles – et l’on croise les membres d’un groupe, les Dirty Fingers. Obsèques reprend les personnages de romans précédents, mais même lu indépendamment, il garde une force considérable.

Kim Karlsen meurt à cinquante ans. Il est mort, mais il se réveille, sans aucune mémoire. Le décor dans lequel il évolue est celui d’un hôtel, banal et vide. Les premières pages d’Obsèques plongent le lecteur dans un monde à la fois flottant et réaliste. L’irréalité du monde après la mort est contrebalancée par les objets du quotidien que Kim Karlsen découvre dans ses poches : un peigne, un agenda, la clé de sa chambre d’hôtel. Mais Kim ne se souvient de rien, il va arpenter les couloirs, puis les rues, en quête de souvenirs, ou de réminiscences. Le film La Mélodie du bonheur est un indice récurrent, ainsi que les affiches du groupe les Dirty Fingers. Une conversation qu’il a avec un coiffeur le renvoie de sa mort à celle des membres du groupe.

« Le deuil n’a pas d’effet rétroactif ». Cette phrase donne le ton de l’étrange roman de Lars Saabye Christensen. L’amnésie de Kim anticipe-t-elle sur le souvenir qu’il laissera parmi ses amis et ses proches ? Combien de temps les morts survivent-ils dans les mémoires ? Après l’évocation de l’après-mort de Kim, on en vient aux réactions de ses amis et proches. Le lecteur renoue alors avec un réalisme plus sentimental, très justement dépeint. A l’amnésie post-mortem de Kim répondent des scènes du passé. Parfois, les détails sont les mêmes dans l’un et l’autre monde. La stupeur de la perte. La stupeur d’être mort. La construction du roman, de l’après-mort du « héros » aux épisodes du passé, met en perspective une vie entière, reconstituée, prismatique. Les relations avec les parents, ce que l’on projette et ce que l’on réalise, l’ancrage dans une réalité sociale et politique, l’envie de déployer ses ailes, ce que l’on a fait de sa jeunesse, ce qu’il en reste à l’âge mûr…

Voilà un roman étonnant, qui explore les sentiments et le fantastique, qui regarde l’humain dans ses faiblesses, ses peurs, sa grandeur et son courage. Obsèques est une des facettes de la littérature nordique contemporaine. A explorer.