jeudi 24 décembre 2015

Le Retable Wasserfall de Daniel Boulanger



Daniel Boulanger, Le Retable Wasserfall, Gallimard, 1993 et éd. Folio, 1999.

Avril à Marseille. Il neige. A l’hôtel Stellaire, les chambres 13, 24, 28, 31, 32, 40, 42 et 49 sont occupées par les membres d’un cercle érudit et strictement masculin. Les hommes entre eux, voilà ce qui intéresse Daniel Boulanger. Dans un autre de ses romans, il les a appelés ses « coquins ». Dans Le retable Wasserfall, ils sont huit : Moshe Carmel, le père Malamocco, Stephanos Acropolis, Horst Hertz, Pierre Vitelle-Célestins, Salvador Azulejos Manares, Benito Pederazzi et sir Faraday. Huit hommes jouant les comploteurs comme à l’âge de l’adolescence, huit bon vivants se réunissant pour des joutes oratoires qu’ils prennent à la légère et au sérieux en même temps. Ces huit-là incarnent le bonheur absolu. Ils ne sont ni jeunes ni beaux, mais ils sont jeunes, et ils sont beaux.

Les hommes entre eux, chez Daniel Boulanger, ne sont rien sans l’irruption du féminin et du mystérieux. La servante de l’hôtel Stellaire se nomme Ulli Wasserfall, elle descend – par adoption – d’une lignée d’artistes sculpteurs. Le retable ancestral, celui qui a été sculpté au XVe siècle, est au centre de ce roman qui, au fond, n’a que peu de centre et beaucoup de lignes de fuite. Le dernier des Wasserfall sculptait des coquetiers pour le führer. Ulli, elle, se dit « en escale » à Marseille, son objectif étant de rejoindre la Grèce.

Les textes de Daniel Boulanger se sirotent, se savourent, ils sont à apprécier comme un grand vin, un bon cigare, un plat de roi. Les dialogues sont éclatants, les situations souvent rocambolesques, les allusions toujours érotico-allègres. C’est de la vie qui bout, de la vie en marche, surprenante, désarçonnante, réjouissante. Dans Le Retable Wasserfall, on mange de la pieuvre à la lavande. N’est-ce pas merveilleux ?

Daniel Boulanger envisage le plaisir sous l’angle de l’hédonisme et de la bonne humeur. Chez lui on aime, on mange, on parle : la chair, la chère et la faconde – cette tchatche érudite, sérieuse et bon enfant dont on a perdu, peut-être, le caractère sacrément sacrilège. Le plaisir, il s’exprime aussi et avant tout dans le maniement de la langue, dans des dialogues pim-pam-poum et des notations d’une précision et d’une évocation terrifiantes de maîtrise et d’acuité : « Ses sourcils ? Deux taupes. Son visage ? Une taupinière ». Plus loin :
« Au 13, Ulli Wasserfall vit un hercule à calotte de soie, rose, en anglaises rousses, et satin noir jusqu’aux mollets, assis devant la fenêtre à regarder le neige. 
- Je suis juif, dit-il en se retournant.
- Pourquoi ? demanda-t-elle. »
Daniel Boulanger, inépuisable source de délectation.