mardi 15 décembre 2015

Médusa d’Antoni Casas Ros



Antoni Casas Ros, Médusa, éd. Fata Morgana, 48 pages, octobre 2015.

Médusa est un texte que l’on a découvert tout d’abord en catalan, puis en français. Antoni Casas Ros vit à Barcelone, pour ce que l’on en sait, et sa pente littéraire file vers l’Amérique du sud. C’est au Brésil, à l’hôpital de Salvador de Bahia, que débute Médusa. La nuit d’un 31 décembre, un carnaval macabre de saison décalée fait fureur.

C’est la guerre, ou tout comme. Un massacre, des blessés, du sang, une fillette violée. « Cris, scènes d’hystérie, infirmières comme des mouettes qui volent d’un corps à l’autre ». Le narrateur a été piqué par une méduse et son venin déclenche en lui des hallucinations. Le massacre fait-il partie de ses visions ?

Médusa n’entre pas dans le cadre de la fiction, c’est un long texte poétique qui puise à plusieurs sources : le baroque, le surréalisme, le symbolisme, et qui s’apparente, sans doute aussi, à l’œuvre de Michaux. Dans tous les cas, Médusa est un texte de création et un texte d’hommage. L’écrivain n’avance pas masqué, il l’est déjà, depuis ses débuts. Il a convoqué dans ses romans des figures tutélaires, parmi lesquelles émerge celle d’Enrique Vila Matas. Mais ici, dans la convocation poétique, les œuvres et les hommes sont à débusquer dans les mots-mêmes.
  
Dans Médusa, on croise les Assis de Rimbaud :

Soudain apparaissent tous ces êtres qui se promènent avec leur fauteuil, comme s’il faisait partie de leur corps. Les fameux assis en chair, en os et en passementerie glissent vers leur vérité.

Dans Médusa, un scène digne tout à la fois de Quevedo – l’immense écrivain baroque du siècle d’or espagnol – et de Mary Shelley fait soudain sens :

Les chirurgiens assemblent au hasard des morceaux de corps. On ne reconnaît plus les siens. Nez irresponsables. Lèvres insolentes. Oreilles d’éléphant. La naissance des nouveaux dieux.

Dans Médusa, Thomas Bernhard pousse la porte des urgences, Mallarmé a un crayon bleu, et les « trompes marines » renvoient à Apollinaire. Ce texte, oui, on peut le lire comme un hommage vibrant aux poètes. Mais ce texte, on le lit aussi comme une station d’apaisement dans une œuvre qui jusqu’ici se raccrochait avec fureur à deux partis pris : inventer les situations de l’hyper-modernité, et mettre à jour l’écriture ancestrale de la sexualité. Médusa, dans sa forme poétique, s’éloigne du premier et sublime le deuxième. Le parti pris de ce texte est résolument personnel, pour une fois, serait-on tenté de dire, malgré les références et les allusions assumées.

Il y a, dans Médusa, des passages d’une beauté poignante – que je ne dévoile pas ici, que je garde pour moi, pour les relire et, qui sait, les retourner, les malaxer, les « utiliser » en guise d’épigraphe, les inclure en catimini dans mes propres textes, je n’en sais rien encore, mais il y a, dans Médusa, des passages, parfois de simples bouts de phrases, qui me bouleversent. Je connais bien Antoni Casas Ros. Entendons-nous : je connais bien son œuvre, j’ai tout lu de lui, j’ai parlé de tous ses livres ou presque. J’ai pesté parfois – sans le lui dire – parce que je pensais que là, ou là, il gâchait son talent. La pose, la posture, tout cela ne m’intéresse pas. Les textes, oui. Ça, ça m’intéresse. Casas Ros m’a toujours intéressée, car il me semble qu’il creuse une veine particulière de la littérature contemporaine, avec défi et superbe. Dans Médusa, il travaille autrement son écriture. Les thèmes qu’il déploie depuis toujours y sont bien présents, mais condensés, maturés. Son véritable territoire est celui de l’humain contemporain. Du constat humain provocant – désespéré – mâtiné de tendresse et d’espoir.

Médusa, ce texte imprimé sur beau papier, illustré par les beaux dessins de Paul de Pignol, est un très beau texte. Un texte poétique qui dit ce qu’il en est de nous, frères humains, lorsque nous contemplons notre humaine condition avec l’œil aiguisé du dessillement poétique. Nos vies sont des danses macabres où l’amour, la sensualité, la mort et le rire nous tirent du néant. Antoni Casas Ros est un romantique optimiste, même s’il s’en défend. Il le montre et le clame dans Médusa.

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Extrait

Les musiciens laissent les notes voler librement, elles s’unissent, s’accouplent au hasard et laissent dans le ciel des traînées lumineuses qui à leur tour allient lumière et matière pour peindre et sculpter, fasciner et anéantir, tendre jusqu’à l’implosion les corps qui refusent de s’abandonner.
         La musique
         N’est pas faite pour tomber dans l’âme des mortels
         Mais pour faire jouir les dieux inventés