Antoni Casas Ros, Médusa, éd. Fata
Morgana, 48 pages, octobre 2015.
Médusa est un texte que
l’on a découvert tout d’abord en catalan, puis en français. Antoni Casas Ros
vit à Barcelone, pour ce que l’on en sait, et sa pente littéraire file vers
l’Amérique du sud. C’est au Brésil, à l’hôpital de Salvador de Bahia, que
débute Médusa. La nuit d’un 31
décembre, un carnaval macabre de saison décalée fait fureur.
C’est la guerre, ou tout
comme. Un massacre, des blessés, du sang, une fillette violée. « Cris,
scènes d’hystérie, infirmières comme des mouettes qui volent d’un corps à
l’autre ». Le narrateur a été piqué par une méduse et son venin déclenche en
lui des hallucinations. Le massacre fait-il partie de ses visions ?
Médusa n’entre pas dans
le cadre de la fiction, c’est un long texte poétique qui puise à plusieurs
sources : le baroque, le surréalisme, le symbolisme, et qui s’apparente,
sans doute aussi, à l’œuvre de Michaux. Dans tous les cas, Médusa est un texte de création et un texte d’hommage. L’écrivain
n’avance pas masqué, il l’est déjà, depuis ses débuts. Il a convoqué dans ses
romans des figures tutélaires, parmi lesquelles émerge celle d’Enrique Vila
Matas. Mais ici, dans la convocation poétique, les œuvres et les hommes sont à
débusquer dans les mots-mêmes.
Dans Médusa,
on croise les Assis de Rimbaud :
Soudain
apparaissent tous ces êtres qui se promènent avec leur fauteuil, comme s’il
faisait partie de leur corps. Les fameux assis en chair, en os et en
passementerie glissent vers leur vérité.
Dans Médusa, un scène digne tout à la fois de Quevedo – l’immense
écrivain baroque du siècle d’or espagnol – et de Mary Shelley fait soudain
sens :
Les
chirurgiens assemblent au hasard des morceaux de corps. On ne reconnaît plus
les siens. Nez irresponsables. Lèvres insolentes. Oreilles d’éléphant. La
naissance des nouveaux dieux.
Dans Médusa, Thomas Bernhard pousse la porte des urgences, Mallarmé a un
crayon bleu, et les « trompes marines » renvoient à Apollinaire. Ce
texte, oui, on peut le lire comme un hommage vibrant aux poètes. Mais ce texte,
on le lit aussi comme une station d’apaisement dans une œuvre qui jusqu’ici se
raccrochait avec fureur à deux partis pris : inventer les situations de
l’hyper-modernité, et mettre à jour l’écriture ancestrale de la sexualité. Médusa, dans sa forme poétique,
s’éloigne du premier et sublime le deuxième. Le parti pris de ce texte est
résolument personnel, pour une fois, serait-on tenté de dire, malgré les
références et les allusions assumées.
Il y a, dans Médusa, des passages d’une beauté
poignante – que je ne dévoile pas ici, que je garde pour moi, pour les relire
et, qui sait, les retourner, les malaxer, les « utiliser » en guise
d’épigraphe, les inclure en catimini dans mes propres textes, je n’en sais rien
encore, mais il y a, dans Médusa, des
passages, parfois de simples bouts de phrases, qui me bouleversent. Je connais
bien Antoni Casas Ros. Entendons-nous : je connais bien son œuvre, j’ai
tout lu de lui, j’ai parlé de tous ses livres ou presque. J’ai pesté parfois –
sans le lui dire – parce que je pensais que là, ou là, il gâchait son talent. La
pose, la posture, tout cela ne m’intéresse pas. Les textes, oui. Ça, ça m’intéresse.
Casas Ros m’a toujours intéressée, car il me semble qu’il creuse une veine
particulière de la littérature contemporaine, avec défi et superbe. Dans Médusa, il travaille autrement son
écriture. Les thèmes qu’il déploie depuis toujours y sont bien présents, mais
condensés, maturés. Son véritable territoire est celui de l’humain contemporain.
Du constat humain provocant – désespéré – mâtiné de tendresse et d’espoir.
Médusa, ce texte imprimé
sur beau papier, illustré par les beaux dessins de Paul de Pignol, est un très beau
texte. Un texte poétique qui dit ce qu’il en est de nous, frères humains,
lorsque nous contemplons notre humaine condition avec l’œil aiguisé du
dessillement poétique. Nos vies sont des danses macabres où l’amour, la
sensualité, la mort et le rire nous tirent du néant. Antoni Casas Ros est un
romantique optimiste, même s’il s’en défend. Il le montre et le clame dans Médusa.
*
Extrait
Les musiciens laissent les
notes voler librement, elles s’unissent, s’accouplent au hasard et laissent
dans le ciel des traînées lumineuses qui à leur tour allient lumière et matière
pour peindre et sculpter, fasciner et anéantir, tendre jusqu’à l’implosion les
corps qui refusent de s’abandonner.
La musique
N’est pas faite pour tomber dans l’âme des mortels
Mais pour faire jouir les dieux inventés