Regards croisés
Un livre, deux lectures - en collaboration avec Virginie Neufville
Bernard Quiriny, Histoires assassines, nouvelles, éd. Rivages, février 2015, 240 pages.
Le mot «histoires» correspond parfaitement aux textes que Bernard Quiriny publie dans ce recueil. Ce ne sont pas vraiment des nouvelles, ni des réflexions. Pas non plus des saynètes, ni des tableaux pris sur le vif. Ce sont des histoires, effectivement, parfaitement inventées, parfaitement impossibles, sorties tout droit de l’imagination d’un écrivain pour qui le romanesque est impuissant à rendre compte d’une réalité imaginaire.
Les Histoires assassines de Quiriny sont à dormir debout, à faire peur, à ne pas lire la nuit, ad libitum. A ne pas lire la nuit surtout si l’on est écrivain, par exemple : Quiriny imagine un critique littéraire assassinant littéralement les auteurs, au pas d’un par jour, durant un mois.
Le 24. Roy Liddle. Ce réactionnaire se plaignait sans cesse de la déliquescence des moeurs, des valeurs, de tout, et soupirait après l’époque de ses aïeux que, pour son bonheur, il vient de rejoindre grâce à moi dans la tombe.
Le critique est anglais, les assassinats ont lieu à Londres. Le lecteur français se demande si sous ces noms anglo-saxons ne se cachent pas quelques allusions francophones.
Puisque les histoires sont «assassines», on tue et on meurt beaucoup dans cet ouvrage. Les objets ne sont pas innocents. Un cercueil, une carafe, un lit prennent la parole, pour raconter leurs crimes. Mais on ne fait pas que mourir ou tuer, dans se recueil. On observe et prend des notes, aussi, sur des sociétés ou des individualités aux comportements étonnants. Le docteur Hampstadt reçoit dans son cabinet des malades aux pathologies inédites : une patiente voit mieux derrière elle que devant, un patient a perdu la notion non du temps, mais de la durée. Le professeur Latourelle part en expédition au fin fond de l’Amazonie avec des étudiants afin d’étudier quelques peuplades aux comportements exotiques : les Kamboulés passent leur vie à creuser des trous, les Tuponis ne reconnaissent pas au matin ceux qu’ils ont côtoyés la veille, les rites initiatiques des Bamilékés consistent à se crever les yeux, les Bekamis se tordent de rire à la seule évocation de l’acte sexuel.
Il y a, chez Quiriny, un évident tropisme michaldien et borgésien. Ses histoires sont données dans une langue sans métaphore, au plus près de l’article d’encyclopédie, du récit de voyage, du rapport de fait divers. La métaphore est sans doute à dénicher ailleurs, dans l’arc dessiné par ces vingt histoires insolites, que l’on n’ose qualifier de fantastiques. Le miroir, le tigre et l’épée étaient les balises de déchiffrement chez Borges. Quelles sont celles de Quiriny ? Les thèmes du sexe, du temps et de la mort courent tout au long du recueil, traités sur des modes différents mais toujours biaisés. Comme pour mieux affronter ce qui fait vraiment peur, ce qui est réellement incompréhensible.