dimanche 12 avril 2015

Belphégor


Tu ranges des trucs, tu remues de la poussière, et tu tombes sur le coffret de Belphégor. Vacances. Temps libre. Allons-y pour un noir et blanc de remontée dans le temps. 1965.

Tu veux entendre à nouveau André Bellegarde déclarer, sur le ton du murmure : «Je sais tout et je ne peux rien dire».

Tu insères le disque dans le lecteur de DVD. Et tout de suite : le choc des dialogues. Tu n'es pas en train de regarder un feuilleton, ou une «série» comme on dit aujourd'hui, ni même une mini-série comme on dit dans les milieux autorisés. Ce que tu regardes, et entends, c'est du théâtre. C'est la langue du théâtre.

Juste un exemple :
Troisième époque, intitulée « Les Rose-Croix ». Dialogue entre le commissaire Ménardier et M. Hiquet. La scène se passe dans le bureau de M. Hiquet. Pièce encombrée de vieux papiers, les armoires débordent, les piles s’entassent à même le sol.

- J'achète des lettres, des archives, des papiers de famille, tout ce qu'on veut bien me vendre.
- Et ça vous amuse ?
- Ça m'empêche de penser à autre chose.
- Vous êtes un homme très malheureux, monsieur Hiquet.
- Pourquoi dites vous ça ?
- Je me trompe ?
- Oui.
- Non.
- Je le serais peut être si je prenais la vie au sérieux.
- Et elle ne l'est pas ?
- Tout paraît... Un rêve.
- Un rêve ?
- Oui, un rêve. Elle en a tous les traits, absurdité, incohérence...
- Non monsieur Hiquet, la vie n'est pas un rêve !
- Qu'en savez-vous ?
- Vous le savez aussi bien que moi.
- Bah, vous n'allez pas me dire que tout ça est vrai ?
- Tout ça ?
- Oui, tout ça, tout ce qui nous arrive... Il faudrait être fou pour y croire. Vous même, la nuit où vous avez aperçu le fantôme dans le Louvre, vous avez eu l'impression de rêver.
- Et voilà comment vous espérez échapper à vos responsabilités !
- Quelles responsabilités ?
- Celles que vous fuyez. En construisant sur la vie et sur le rêve une théorie absurde.
- Pourquoi en effet voulez vous que je me tourmente alors que je m'attends à tout instant à me réveiller ?
- Mais précisément ! Dans la vie on ne se réveille pas ! Contrairement à ce qui se passe dans les rêves, même au plus fort de l'angoisse, on ne se réveille pas.
- Ça peut venir...
- J'aimerais bien pouvoir comme vous me débarrasser de mes soucis.
- Des rêves... Rien que des rêves...
- Eh bien soit ! Des rêves ! Mais mon rêve à moi, figurez-vous, c'est un cauchemar.
- Je n'y peux rien.
- Laissez moi quand même vous le décrire. Je vois du sang, monsieur Hiquet. Je vois du sang et je vois des crimes.
- Laissez moi !
- Délivrez-moi de ce cauchemar, monsieur Hiquet ! Délivrez-moi, vous le pouvez !
- Je ne sais rien.

Des dialogues pareils, on n’en trouve que chez Cocteau et Bertrand Blier. Et jamais dans les séries. La meilleure série française depuis des lustres est Les Revenants. Un sujet un or. Et des dialogues pitoyables.