samedi 7 mars 2015

Des éclairs de Jean Echenoz



Jean Echenoz, Des éclairs, éd. de Minuit, 2010, 176 pages.

Après Ravel et Zátopek, Jean Echenoz conclut sa trilogie biographique par Nikola Tesla, qui apparaît dans le roman Des éclairs sous le seul prénom, ou patronyme, de Gregor. La musique, le sport, l’ingénierie électrique. Au centre de ces trois romans, chaque fois, un homme et sa solitude. Le Gregor d’Echenoz est un homme seul, enfermé dans ses phobies – il fuit les microbes comme la peste, ce qui ne facilite ni les rapports sociaux, ni les rapports amoureux – et dans la certitude de son génie. En quoi il n’a pas tort.

Que doit Gregor à Tesla ? Sa physionomie, et à peu près tout le déroulé de sa vie. Né dans un pays de l’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il traverse l’Atlantique, travaille avec Edison et se fait rouler, puis avec Westinghouse et Morgan. Gregor invente à tours de bras tout ce qui fera la modernité. Il démontre les avantages du courant alternatif sur le courant continu, dépose des brevets mal rédigés sur la transmission des ondes sonores dont Marconi s’empare pour devenir le père de la radio, découvre les rayons X mais un autre, là encore, lui vole l’invention. A Colorado Springs, en pleine montagne, il effraie les habitants du coin en déclenchant des éclairs gigantesques. C’est la nuit en plein jour, la nuit sonore et effrayante. Gregor est capable d’agir sur la météo. Et pas que cela : il écoute, aussi, la musique des sphères, et croit entendre bavarder les Martiens. Il donne à manger aux pigeons, les accueille et les soigne jusque dans la dernière chambre d’hôtel qu’il occupe, au New-Yorker. Tesla, oui. Sa vie entière. Sur l’exact déroulé du documentaire Le Génie du tonnerre (1999), que l’on peut visionner sur le web ici.

Le Gregor d’Echenoz est un type peu sympathique, et il paraît que Tesla ne l’était guère plus. Mais Des éclairs, comme Ravel ou Courir, n’est pas une biographie. Gregor n’est pas Tesla. Gregor est un personnage littéraire, plongé dans une époque définie, paré des qualités physiques, professionnelles et sociales d’un ingénieur nommé Nikola Tesla. Gregor est peut-être une projection. Disons qu’avec le musicien et le sportif, le triptyque dessine, sous des latitudes et des époques différentes, une silhouette d’homme seul. Le génie de ces trois hommes, dans des domaines distincts et éloignés, semble induire tout naturellement la mélancolie.

D’où vient, à la lecture de ce troisième volet des biographies romancées, cet agacement ? Le ton qu’emploie Jean Echenoz pour s’approcher de son personnage est tantôt primesautier, tantôt proche du ridicule :

Avec tout ça, qui est allé vite comme toute sa vie, Gregor va sur ses cinquante-cinq ans. (p. 124)

Aussi prémuni qu’il ait pris soin d’être, bardé de textiles et de bonne volonté, le froid s’infiltre en lui par leurs interstices avec l’accablement par ses neurones. (p. 131)

La vie de Gregor tient de la tragi-comédie. Dans une tragi-comédie, on devrait à la fois rire et pleurer. Dans Des éclairs, la lectrice est toujours restée à distance, ne s’est jamais sentie invitée. S’est un peu ennuyée. Ne s’est pas mise en colère, comme elle le fait lorsqu’elle lit des textes qui lui semblent mauvais. Elle a juste eu envie d’aller relire Lac et Nous trois, ses Echenoz préférés.

*

NB : Nikola Tesla est un personnage à lui tout seul. Il a souvent inspiré la fiction. On le croise dans les Enquêtes de Murdoch, et, bien sûr, dans Le Prestige de Christopher Priest. Il est le savant fou – avec son rayon de la mort – des aventures de Superman. On le retrouve aussi dans… et dans… Je m’en vais regarder cela de très près.