Jean Echenoz, Des
éclairs, éd. de Minuit, 2010,
176 pages.
Après Ravel et Zátopek,
Jean Echenoz conclut sa trilogie biographique par Nikola Tesla, qui apparaît
dans le roman Des éclairs sous le
seul prénom, ou patronyme, de Gregor. La musique, le sport, l’ingénierie électrique. Au centre
de ces trois romans, chaque fois, un homme et sa solitude. Le Gregor d’Echenoz
est un homme seul, enfermé dans ses phobies – il fuit les microbes comme la
peste, ce qui ne facilite ni les rapports sociaux, ni les rapports amoureux –
et dans la certitude de son génie. En quoi il n’a pas tort.
Que doit Gregor à
Tesla ? Sa physionomie, et à peu près tout le déroulé de sa vie. Né dans
un pays de l’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il traverse
l’Atlantique, travaille avec Edison et se fait rouler, puis avec Westinghouse
et Morgan. Gregor invente à tours de bras tout ce qui fera la modernité. Il
démontre les avantages du courant alternatif sur le courant continu, dépose des
brevets mal rédigés sur la transmission des ondes sonores dont Marconi s’empare
pour devenir le père de la radio, découvre les rayons X mais un autre, là
encore, lui vole l’invention. A Colorado Springs, en pleine montagne, il
effraie les habitants du coin en déclenchant des éclairs gigantesques. C’est la
nuit en plein jour, la nuit sonore et effrayante. Gregor est capable d’agir sur
la météo. Et pas que cela : il écoute, aussi, la musique des sphères, et
croit entendre bavarder les Martiens. Il donne à manger aux pigeons, les
accueille et les soigne jusque dans la dernière chambre d’hôtel qu’il occupe,
au New-Yorker. Tesla, oui. Sa vie entière. Sur l’exact déroulé du documentaire Le Génie du tonnerre (1999), que l’on
peut visionner sur le web ici.
Le Gregor d’Echenoz est un
type peu sympathique, et il paraît que Tesla ne l’était guère plus. Mais Des éclairs, comme Ravel ou Courir, n’est
pas une biographie. Gregor n’est pas Tesla. Gregor est un personnage
littéraire, plongé dans une époque définie, paré des qualités physiques,
professionnelles et sociales d’un ingénieur nommé Nikola Tesla. Gregor est
peut-être une projection. Disons qu’avec le musicien et le sportif, le
triptyque dessine, sous des latitudes et des époques différentes, une
silhouette d’homme seul. Le génie de ces trois hommes, dans des domaines
distincts et éloignés, semble induire tout naturellement la mélancolie.
D’où vient, à la lecture de
ce troisième volet des biographies romancées, cet agacement ? Le ton
qu’emploie Jean Echenoz pour s’approcher de son personnage est tantôt
primesautier, tantôt proche du ridicule :
Avec tout ça, qui est allé vite comme toute sa vie, Gregor va sur ses
cinquante-cinq ans. (p. 124)
Aussi prémuni qu’il ait pris soin d’être, bardé de textiles et de
bonne volonté, le froid s’infiltre en lui par leurs interstices avec
l’accablement par ses neurones. (p. 131)
La vie de Gregor tient de
la tragi-comédie. Dans une tragi-comédie, on devrait à la fois rire et pleurer.
Dans Des éclairs, la lectrice est
toujours restée à distance, ne s’est jamais sentie invitée. S’est un peu
ennuyée. Ne s’est pas mise en colère, comme elle le fait lorsqu’elle lit des
textes qui lui semblent mauvais. Elle a juste eu envie d’aller relire Lac et Nous trois, ses Echenoz préférés.
*
NB : Nikola Tesla est
un personnage à lui tout seul. Il a souvent inspiré la fiction. On le croise
dans les Enquêtes de Murdoch, et, bien sûr, dans Le Prestige de Christopher Priest. Il est le savant fou – avec son
rayon de la mort – des aventures de Superman. On le retrouve aussi dans… et
dans… Je m’en vais regarder cela de très près.