mardi 20 janvier 2015

Un hiver à Paris de Jean-Philippe Blondel



Jean-Philippe Blondel, Un hiver à Paris, Buchet-Chastel, 2 janvier 2015, 272 pages.

Les années Khâgne

Le mot, à qui n’est pas du sérail, est incompréhensible. Cagneux, c’est pour les genoux. Un k, un h, un accent circonflexe, et puis quoi, encore ? Hypokhâgne, khâgne, khôlle… A-t-on idée ?... trop de k, trop de h, trop d’accents circonflexes. Le sensible aime la fluidité dans le phrasé, et fuit les heurts. Ces lettres et signes piquent, agressent. Le sérail, il est circonscrit à quelques quartiers bien délimités de Paris, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Lyon, Toulouse (pour faire court, et pour faire dans le prestige). Circonscrit, aussi, à quelques catégories socio-professionnelles parmi lesquelles émergent les enseignants. Les classes prépa, quoi.

Avec Un hiver à Paris, Jean-Philippe Blondel ravive avec justesse et sensibilité une ambiance, un milieu, une époque : le début des années 80. Et surtout, surtout – et avec quel talent ! –, il fouille les angoisses d’une jeunesse dorée – plus ou moins dorée, celle du narrateur étant légèrement décalée –, enserrée dans un carcan d’ambitions parentales, torturée par le sadisme de professeurs guindés, soumise aux diktats d’un élitisme qui n’ose même pas s’avouer républicain. Victor, le narrateur, petit provincial monté à Paris – au prestigieux lycée D., mais vivant à Nanterre dans une cité étudiante – est le « candide » narrateur de l’histoire. Histoire à la fois dramatique et initiatique : un de ses condisciples, ne supportant pas la note infâmante de 0,5 que le prof de Lettres lui a attribuée, sort de la salle de cours en hurlant « Salaud ! » et se jette par la fenêtre du couloir. Le sang de sa mort imprègne les semelles de Victor. Les études sont-elles à ce prix ? Les professeurs ont-ils ce pouvoir-là, celui de catapulter vers la mort des enfants d’à peine vingt ans ? Et Victor, connaissait-il vraiment ce Mathieu défenestré ? Est-ce connaître quelqu’un que de partager quelques cigarettes et de parler du divorce de ses parents ?

C’est une lettre, reçue par le narrateur alors qu’il est devenu prof, et écrivain, qui fait remonter à la surface de la mémoire l’ensemble de ces années de jeunesse. Une lettre du père de Mathieu, le condisciple défenestré. Il y a les Lettres, celles que l’on étudie en prépa littéraire, et puis il y a les lettres, celles que l’on reçoit. C’est une lettre, puis un coup de téléphone, qui replongent Victor au cœur des années khâgne. Un voyage dans le temps, et un trajet physique : Paris, Troyes, les Landes. Les lieux de Blondel.

Chez Jean-Philippe Blondel, par-delà la sensibilité du rendu d’une époque, il y a cette impression de somnambulisme – mais qu’est-ce que je fais là ? et qu’est-ce que c’est que ces rigoles de sang qui suintent de la tête éclatée de mon copain qui n’était pas vraiment mon copain ? – et ce recul face aux enjeux de la prépa. Ce pauvre Paul Rialto, le premier de la classe, qui de dédaigneux devient amical, est un des personnages les plus attachants d’Un hiver à Paris. Ajoutons-y Armelle, son serre-tête et sa lucidité. Les enfants, même grandis, ayant franchi le cap épineux et rigolo, quoi qu’on en dise, de l’adolescence, restent des enfants. Des « enfants sensibles », tels que Sophie Képès les a décrits, elle aussi au plus juste de l’époque et de l’intemporalité, dans son roman Des enfants sensibles (Seuil, 1980).