Jean-Philippe Blondel, Un hiver à Paris,
Buchet-Chastel, 2 janvier 2015, 272 pages.
Les
années Khâgne
Le mot, à qui n’est pas du
sérail, est incompréhensible. Cagneux, c’est pour les genoux. Un k, un h, un
accent circonflexe, et puis quoi, encore ? Hypokhâgne, khâgne, khôlle…
A-t-on idée ?... trop de k, trop de h, trop d’accents circonflexes. Le
sensible aime la fluidité dans le phrasé, et fuit les heurts. Ces lettres et
signes piquent, agressent. Le sérail, il est circonscrit à quelques quartiers
bien délimités de Paris, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Lyon, Toulouse (pour
faire court, et pour faire dans le prestige). Circonscrit, aussi, à quelques
catégories socio-professionnelles parmi lesquelles émergent les enseignants.
Les classes prépa, quoi.
Avec Un hiver à Paris, Jean-Philippe Blondel ravive avec justesse et
sensibilité une ambiance, un milieu, une époque : le début des années 80.
Et surtout, surtout – et avec quel talent ! –, il fouille les angoisses d’une
jeunesse dorée – plus ou moins dorée, celle du narrateur étant légèrement
décalée –, enserrée dans un carcan d’ambitions parentales, torturée par le
sadisme de professeurs guindés, soumise aux diktats d’un élitisme qui n’ose
même pas s’avouer républicain. Victor, le narrateur, petit provincial monté à
Paris – au prestigieux lycée D., mais vivant à Nanterre dans une cité étudiante
– est le « candide » narrateur de l’histoire. Histoire à la fois
dramatique et initiatique : un de ses condisciples, ne supportant pas la
note infâmante de 0,5 que le prof de Lettres lui a attribuée, sort de la salle
de cours en hurlant « Salaud ! » et se jette par la fenêtre du
couloir. Le sang de sa mort imprègne les semelles de Victor. Les études sont-elles
à ce prix ? Les professeurs ont-ils ce pouvoir-là, celui de catapulter
vers la mort des enfants d’à peine vingt ans ? Et Victor, connaissait-il
vraiment ce Mathieu défenestré ? Est-ce connaître quelqu’un que de
partager quelques cigarettes et de parler du divorce de ses parents ?
C’est une lettre, reçue par
le narrateur alors qu’il est devenu prof, et écrivain, qui fait remonter à la
surface de la mémoire l’ensemble de ces années de jeunesse. Une lettre du père
de Mathieu, le condisciple défenestré. Il y a les Lettres, celles que l’on
étudie en prépa littéraire, et puis il y a les lettres, celles que l’on reçoit.
C’est une lettre, puis un coup de téléphone, qui replongent Victor au cœur des
années khâgne. Un voyage dans le temps, et un trajet physique : Paris,
Troyes, les Landes. Les lieux de Blondel.
Chez Jean-Philippe Blondel,
par-delà la sensibilité du rendu d’une époque, il y a cette impression de
somnambulisme – mais qu’est-ce que je fais là ? et qu’est-ce que c’est que
ces rigoles de sang qui suintent de la tête éclatée de mon copain qui n’était
pas vraiment mon copain ? – et ce recul face aux enjeux de la prépa. Ce
pauvre Paul Rialto, le premier de la classe, qui de dédaigneux devient amical,
est un des personnages les plus attachants d’Un hiver à Paris. Ajoutons-y Armelle, son serre-tête et sa
lucidité. Les enfants, même grandis, ayant franchi le cap épineux et rigolo,
quoi qu’on en dise, de l’adolescence, restent des enfants. Des « enfants
sensibles », tels que Sophie Képès les a décrits, elle aussi au plus juste
de l’époque et de l’intemporalité, dans son roman Des enfants sensibles (Seuil, 1980).