Grimm, Contes
choisis,
illustrés par Yann Legendre, éditions Textuel, 1er octobre 2014, 212
pages.
Parmi les
vingt contes des frères Grimm que Yann Legendre a choisis et illustrés,
certains sont des classiques : Cendrillon,
Le Vaillant Petit Tailleur, Blanche-neige, Le Petit Chaperon rouge… et
d’autres sont beaucoup moins connus, et sont de belles découvertes. Par
exemple : La Lune. Très court
texte, où l’on voyage en trois pages d’un pays où la nuit est obscure pour se
retrouver au royaume des morts : « Mais quand les quatre morceaux de
la lune se retrouvèrent réunis dans le monde souterrain, voilà que là-bas, où
avait toujours régné l’obscurité, les morts se mirent à s’agiter et se
réveillèrent de leur sommeil ». Le monde du conte est celui du
merveilleux, bien entendu. Chez les frères Grimm, inlassables collecteurs de
légendes et d’histoires, le merveilleux est un voyage dans le temps et l’espace
– temps et espace qui se rejoignent, justement, dans le conte La Lune.
Quelques
« Il était une fois ». Mais aussi des ouvertures directes (« Un
jour, le chat rencontra Monsieur Renard », ou « La femme d’un homme
riche tomba malade », ou encore « Par un matin d’été, un petit
tailleur était assis sur sa table ») qui nous plongent in media res ou à peu près dans un monde
tangible et réaliste, pour ensuite dévier, surprendre et émerveiller. Quelques
« Il était une fois », ici. Mais aussi d’autres ouvertures,
merveilleusement floues (« Il y a bien longtemps », « Il y a
quelques centaines d’années », « Dans des temps anciens »,
« Un jour »). La traductrice, Natacha Rimasson-Fertin, fait, elle
aussi, des merveilles.
Yann
Legendre, célèbre illustrateur, s’attèle donc aux contes des frères Grimm. Avec
tout le talent qu’on lui connaît. Les sœurs de Cendrillon, aiguës, rouges et
noires, sont terrifiantes. Une Blanche-neige toute de bleu vêtue gît sur un
trognon de pomme qui semble flotter sur les eaux du rêve – à quoi rêva-t-elle,
au fait, la belle endormie, pendant son sommeil ? Une rave en forme de
montgolfière étend ses fanes sur la grand-place. Une petite souris, alanguie
sur un abat-jour, semble prendre le soleil alors qu’elle est à l’intérieur de
la maison : sur son museau, des lunettes à montures rouges, et des verres fumés
sur lesquels se dessinent des cœurs (on pense à Lolita…). Yann Legendre manie
les couleurs franches, et leurs déclinaisons éclatantes – le roux d’une
chevelure, le violet des nuages – pour redessiner les contours du conte. Les
textes acquièrent une noirceur, et parfois une sauvagerie, qui bousculent le
lecteur. Le loup derrière le petit chaperon est à l’affût, caché mais envahissant
tout l’espace. Quelques illustrations en noir et blanc, très graphiques,
renforcent le sentiment d’inconfort. Et le lecteur est comblé. Car le
merveilleux sans la peur est de peu d’intérêt. Ces contes – surtout ceux que
l’on croit bien connaître – sont revus ici, graphiquement, sous un angle pop
aux lignes nettes et franches.
Soulevez
la couverture gris métal, gaufrée, aux illustrations rehaussées d’un vernis
sélectif, et découvrez les contes de Grimm comme vous ne les avez jamais vus. Une
publication magnifique.
Yann
Legendre est né en 1972. Illustrateur et directeur artistique, il est membre de
la Society of Illustrators de New-York. Ses travaux font partie des collections
permanentes de la Bibliothèque nationale de France et du Museum of Modern Art
de New-York. (Visiter son site)