Chantal Creusot, Mai en
automne, Zulma 2012 et Zulma Poche 16 janvier 2014.
Nous sommes en Normandie.
Années d’entre-deux guerres, de seconde guerre mondiale, puis années 50. Voilà
pour l’arrière-plan, géographique et temporel. Dans Mai en automne,
sur près de quatre-cents pages, nous sommes au cœur des relations humaines et
des rapports sociaux, dans un monde provincial où les femmes sont tributaires
d’un héritage culturel, familial, civilisationnel. Elles sont filles, puis
épouses, puis mères. Elles s’ennuient ou se découvrent. Dans le roman de
Chantal Creusot, les figures féminines charpentent un univers codé selon les
modes du temps, dans lequel tout lecteur saura identifier des constantes
intemporelles.
Les classes sociales sont
bien délimitées : d’un côté les avocats, les médecins, un procureur, une
libraire ; de l’autre, le monde des champs, les fermiers aisés, les
servantes. Une société provinciale qui rappelle Flaubert, Chabrol, Les
Dames de la Côte, et que Chantal Creusot met en scène au cours de dîners,
de festins de mariages, de baptêmes et d’obsèques. Mais l’intérêt du roman est
ailleurs que dans la description des scènes de genre. Il y a dans ces pages une
mise à nue sensible de ce que c’est qu’être une femme (une fille, une mère, une
épouse) qui dépasse le cadre des années charnières du siècle dernier.
Marie, la servante de
ferme, se laisse prendre par un soldat allemand, se laisse tondre à la
Libération, met au monde un fils. Marie est la figure-miroir de toutes les
femmes du roman : simplette, traversant l’existence sans y comprendre
rien, elle met en lumière les agissements et réactions des autres personnages.
Ceux de Solange, l’épouse aimée puis ignorée, mère elle aussi d’un petit garçon
qu’elle élève loin de la ville après son veuvage ; Solange, qui se
« laisse aller », qui ne tient pas sa maison. Ceux de sa sœur
Michelle qui s’obstine dans son engagement communiste en se demandant si elle
ne passe pas à côté de la vie. Ceux de Marianne qui s’étourdit de sexe pour
provoquer son père. Solange, Michelle et Marianne, les trois amies d’enfance,
appartiennent à la même génération que la servante Marie.
La force de ce roman
réside avant tout dans les correspondances qui se font jour entre les
générations. Ainsi Lucile, la mère de Marianne, sort-elle de sa torpeur au
lendemain du double deuil qui la frappe – qui la frappe comme une gifle, et
finalement la délivre. Elle change de coiffure, apprend à conduire, va visiter
le monde. Ainsi Paule, la belle-mère de Lucile, décide-t-elle de réaliser seule
le voyage qu’elle avait prévu de faire avec son époux mort trop tôt. L’une
reviendra, l’autre pas. Ainsi la veuve Laloy, la fermière, qui va prendre en
charge Julien, le fils de sa servante Marie.
Toutes les figures
féminines de ce roman tissent une trame doucement tragique, d’une vérité
psychologique éblouissante. Le personnage d’Hélène, épouse du Procureur,
apparemment libérée des entraves du qu’en-dira-t-on, volage assumée, est sur ce
point exemplaire. L’amour, plus que la passion, la haine ou l’indifférence, est
le ressort de toute vie.
Mai en automne, premier roman de Chantal Creusot, est un texte
magistral, à la construction spiralée. Un texte pensé, intelligent, sensible.
Et bouleversant. On n’oubliera pas de sitôt l’image du petit Julien, dédaigné
par les enfants de son âge, et qui, pour être admis au sein du groupe, accepte
ingénument d’être le possible héros d’un jeu cruel.