jeudi 25 mars 2021

Regards croisés (39) – Les Enfants sont rois de Delphine de Vigan

Regards croisés

un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville


Delphine de Vigan, Les Enfants sont rois, éd. Gallimard, 4 mars 2021, 352 p.

 

Ne devient pas Loana qui veut. Mais qui voudrait devenir Loana ? Eh bien, par exemple, Mélanie Claux, un des personnages du dernier roman de Delphine de Vigan Les Enfants sont rois. Dans sa jeunesse, Mélanie a intégré une émission de téléréalité mais elle en a été virée au terme de la première soirée. Qu’à cela ne tienne, lorsqu’elle devient mère de famille, elle crée sa propre chaîne YouTube, qu’elle intitule Happy récré, sur laquelle elle met en scène ses enfants dans les situations banales du quotidien. Enfin, pas tout à fait : tout cela est aussi une affaire de gros sous, les marques envoient des produits à Mélanie, et il s’agit de susciter le besoin chez le consommateur. Les enfants, Samy et Kimmy, sont donc les champions de l’unboxing, et lancent de petits cris d’impatience et de surprise en déballant les colis. C’est à pleurer, et ça existe. Je me souviens d’une de mes collègues, au bahut, étonnée et désespérée, qui m’a dit comme en confidence : « tu sais, mes petits enfants regardent des chaînes sur Internet où il y a des gens qui se filment toute la journée. » 

Delphine de Vigan tente de s’emparer de ce sujet de société : la disparition de l’intime, le monde des influenceurs, la surconsommation et la malbouffe (les gamins de Mélanie ne mangent que des trucs sucrés et industriels sur l’écran), l’exploitation des enfants par leurs parents… tout ça, quoi. Cela donne un roman qui n’en est pas vraiment un, car il y manque pour moi l’essentiel : le plaisir que le lecteur peut prendre à la lecture d’un sujet bien ficelé traité avec style. Ici, de style, point. Les personnages sont peu intéressants – une policière obstinée, une mère écervelée, un père falot pratiquement inexistant, et, quelques années plus tard, des enfants en révolte contre l’enfance qu’on leur a fait subir. Quant à l’intrigue, elle est insignifiante. 

Ne soyons pas trop dure… Il y a tout de même quelque chose de formidable dans ce roman, c’est l’épigraphe, signée Stephen King : « Nous avons eu l’occasion de changer le monde et nous avons préféré le téléachat. »


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